Héros ou miso?
Héros de la jeunesse ou macho misogyne ? L’opposant politique sénégalais Ousmane Sonko se terre chez lui à Dakar, attendant que la police ose venir le chercher, après une condamnation dans une affaire de viol.
Le Sénégal est en proie à des heurts politiques graves. Opposant de premier ordre au président Macky Sall, Sonko a été condamné la semaine dernière à deux ans de prison pour « corruption de la jeunesse ».
Cette condamnation a jeté ses partisans dans les rues de Dakar. Manifestations, répressions violentes, un quartier saccagé. Au moins 16 personnes ont perdu la vie dans des affrontements avec les forces de l’ordre.
Ousmane Sonko a été reconnu coupable d’un délit minoré, avec une peine atténuée. Mais même cette peine crée le scandale, car elle pourrait entraîner sa disqualification politique.
Son accusatrice, Adji Sarr, est traînée dans la boue sur les réseaux sociaux. Massothérapeute — là-bas, on dit « masseuse » —, elle avait comme client Sonko, qui allait la voir régulièrement pour des « maux de dos » (selon ses mots à lui). Elle affirme qu’il l’a violée à plusieurs reprises.
Le Sénégal aime se vanter de sa stabilité et de sa démocratie — plutôt menacée dans cette région du monde, avec des putschs à répétition : Mali, Burkina Faso, Guinée. Ce pays aime aussi mettre en avant sa modernité, dont Dakar est la vitrine, et un libéralisme économique incarné par le président Macky Sall.
Le pays connaît aujourd’hui son épisode « Me Too »… mais, dans ce cas-ci, ceux qu’on entend le plus ne sont pas les partisans de la plaignante, mais bien ceux de l’accusé.
Plusieurs opposants au régime de Macky Sall, au pouvoir depuis 2012, ont eu affaire à une justice qui les a disqualifiés. Karim Wade, fils de l’ancien président Abdoulaye Wade, a été condamné en 2015 pour enrichissement illicite, ce qui a tué ses ambitions politiques. Idem pour l’ex-maire de Dakar, sous des accusations similaires.
Justice politisée ? Condamnations fondées ? En tout cas, l’accusatrice, Mme Sarr, paraît crédible. Elle a dit détenir des preuves de type ADN contre Sonko qui — contrairement à Bill Clinton dans l’affaire Lewinsky en 1998 — a refusé tout prélèvement sanguin et ne s’est pas présenté à son procès.
À la façon d’un Trump, il joue la rue contre les jugements de cour. Avec ce résultat violent.
L’accusatrice se dit victime de la culture machiste de son pays. Dans toute cette affaire, elle obtient moins d’appuis que l’accusé. Le Monde écrit que « depuis l’éclatement de cette affaire politico-judiciaire, le débat public est saturé de propos sexistes ». Sarr affirme qu’elle n’est plus en sécurité et qu’elle reçoit des menaces régulières.
L’affaire intervient dans un contexte politique tendu. Le président Sall veut obtenir en 2024 un troisième mandat de suite. Il a été élu une première fois en 2012. Mais la Constitution a été commodément changée en 2016, et stipule maintenant : « mandat de cinq ans ; deux mandats consécutifs au maximum ». Ses partisans prétendent que les compteurs ont été « remis à zéro » en 2019 et qu’il peut donc se représenter.
Cette manoeuvre est une vieille ficelle : on l’a vue en Côte d’Ivoire, au Burundi et dans la Russie de Poutine. L’ironie, c’est que Sall lui-même, en 2012, avait pesté contre le « scandale » d’un troisième mandat pour son prédécesseur (qui ne l’avait jamais obtenu).
Sonko serait, sous d’autres cieux, l’affreux qui fédère contre lui une levée de boucliers féministe et médiatique majoritaire… mais, au Sénégal, il est une idole politique et un martyr.
Ancien inspecteur des impôts ayant mis au jour des scandales, il se présente comme un héraut de l’anticorruption. Discours très anti-français, semblable à celui — amplifié par les mercenaires russes — du Mali et du Burkina Faso. Et puis c’est un musulman militant : certains de ses adversaires l’accusent d’être l’ami et le paravent des salafistes.
Donc un islamiste, avec un profil « anti-système », contre les « élites corrompues » et l’« Occident maléfique ». Discours porteur, qui fait oublier ses comportements allégués envers les femmes.
François Brousseau est chroniqueur d’affaires internationales à Ici Radio-Canada. francobrousso@hotmail.com
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.