Le nouveau Roosevelt?

La politique américaine court-elle à sa perte ? Il y a quelque chose de surréaliste, voire de possiblement suicidaire en cours dans la campagne électorale — un drame qui se déroule au ralenti sans vraiment être remarqué. Cela m’est venu à l’esprit récemment lorsque j’ai reçu ma énième publicité par courriel de la campagne de réélection présidentielle Biden-Harris. Le scrutin étant toujours très éloigné, j’ai failli le jeter à la poubelle numérique, mais attendez ! il y avait un message urgent.

« John, nous avons vérifié nos dossiers et avons remarqué que vous n’aviez pas encore fait de don de soutien à la campagne Biden-Harris. » Apparemment, mon nom de famille manquait au dossier (il y avait tout de même un numéro d’identification : 60f88ba), mais peu importe. Je pouvais régler mon déficit financier avec un don « suggéré » de 25 $ et devenir un « donateur fondateur ». Avec cette contribution franchement bon marché, je recevrais une carte d’adhésion Biden-Harris signée par « Joe » et portant l’exhortation « Finissons la tâche ! ».

Au moment où j’ai lu cette invitation, le taux d’approbation du président Biden était au plus bas niveau de son mandat — 36 %, selon un sondage ABC/Washington Post —, donc j’ai un peu mieux compris l’urgence. Pire pour Biden, 56 % des sondés désapprouvent sa gouvernance, ainsi que 58 % des démocrates interrogés, qui ont exprimé leur souhait que leur parti soit représenté par un autre candidat lors de la présidentielle de 2024. Toutefois, à l’heure qu’il est, il n’y a aucun candidat sérieux qui ose affronter le président sortant, tellement ils craignent la situation supposément inévitable si Biden se retire de la course : la réélection de l’ex-président Trump et la fin de la république.

Autrefois, j’étais plus ou moins d’accord avec cette idée qu’une répétition d’un affrontement Biden-Trump fournissait la meilleure garantie d’une défaite pour Trump. L’électorat américain était si profondément dégoûté du monstre de Mar-a-Lago qu’il se soulèverait une deuxième fois pour rejeter sa grotesque personne. Au cas où un rival comme le gouverneur de la Floride, Ron DeSantis, arriverait à décrocher l’investiture du Parti républicain, j’étais convaincu que Trump, par pure malice, lancerait une candidature indépendante qui diviserait le vote républicain au bénéfice du candidat démocrate.

Mais, dernièrement, ce scénario tout prêt a perdu du terrain. Quel est le vrai bilan de Biden ? Serait-il réélu pour la seule raison qu’il ne s’appelle pas Trump ? Quelle tâche doit-on finir avec Biden ? Jusqu’à présent, le programme législatif de la Maison-Blanche — la tâche, disons — a été plutôt limité. Lorsque ses conseillers en communication lui ont accordé le titre de nouveau Franklin D. Roosevelt (FDR), on aurait pu croire que la menace Trump allait disparaître pour de bon. Bien que le programme FDR II ait été largement emprunté à celui de Bernie Sanders, le bilan populaire est maigre pour Franklin D. Biden. Il y a eu, j’avoue, un crédit d’impôt pour enfants qui a duré un an avant d’expirer. En effet, c’était un programme très « progressiste » malgré sa courte durée. Mais à part ça, quoi ? Alors que le vrai FDR briguait sa réélection en 1936 avec de nombreuses réussites favorisant les gens ordinaires, dont la sécurité sociale et l’assurance chômage, Biden n’a rien de comparable dont il pourrait se targuer. Pas d’élargissement du Medicare, pas de hausse dans le salaire minimum fédéral, même pas de cours gratuits dans les écoles communautaires supérieures (cours si chers à la première dame professeure, Jill Biden). Biden a promulgué par décret exécutif une réduction de la dette des anciens étudiants toujours écrasés par d’énormes emprunts, mais ce cadeau aux endettés est pour le moment bloqué par les cours fédérales.

En gros, Biden a réalisé très peu de choses concrètes qui inciteraient les classes populaires à voter pour lui. Pour les riches, bien sûr, il y a eu des largesses de la part des démocrates, notamment la prolongation de la protection sur les revenus des banquiers d’affaires et des partenaires de fonds spéculatifs, qui paient le taux d’impôt sur les gains en capital, plutôt que le taux beaucoup plus élevé de 37 % sur les revenus ordinaires. En principe, Biden pourrait promouvoir ses efforts contre le changement climatique avec les investissements publics dans l’énergie solaire et les voitures électriques, mais, pour les gens démunis, « l’écologie » est une abstraction qui ne veut rien dire. Concernant sa politique de réindustrialisation, Biden sera toujours devancé par un Trump historiquement critique des accords de libre-échange — qui ont tellement nui aux ouvriers — promulgués par Bill Clinton et votés par Biden en tant que sénateur. Trump peut également constater que Biden n’a fait que maintenir les nouveaux tarifs imposés par ce dernier sur les produits fabriqués en Chine.

Que reste-t-il du Biden FDR ? Une réforme de l’immigration ? À la une du pro-Biden New York Daily News le 9 mai : crise dans les centres de réfugiés de la Ville de New York, qui débordent « au point de rupture » de sans-papiers envoyés du Texas par le gouverneur républicain.

Les partisans de Trump sont peut-être malmenés, voire fous, mais ils sont très motivés à voter. Même si une majorité de l’électorat n’aime pas Trump, Biden n’est pas le bien-aimé des anti-Trump. Pour un candidat qui paraît de plus en plus somnolent (et boiteux), le risque est que beaucoup d’électeurs ne se réveillent pas le 5 novembre 2024.

John R. MacArthur est éditeur de Harper’s MagazineSa chronique revient au début de chaque mois.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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