Emprunteurs hypothéqués
Sous un taux de prêts en souffrance ancré à ses faibles niveaux se profile l’ombre d’un emprunteur hypothécaire toujours plus mal en point.
En présentant sa Revue du système financier, la Banque du Canada disait s’inquiéter plus que l’an passé de la capacité des ménages à assurer le service de leur dette. « On s’attend à ce que davantage de ménages subissent des pressions financières dans les prochaines années, à mesure qu’ils renouvelleront leurs prêts hypothécaires. De plus, la baisse des prix des logements a réduit l’avoir propre foncier des propriétaires, et on commence à voir apparaître des signes de stress financier, particulièrement chez les récents acheteurs. »
Carolyn Rogers, première sous-gouverneure, ajoutait que les paiements hypothécaires d’environ le tiers des ménages ont augmenté depuis février 2022, soit juste avant que la Banque commence à relever le taux directeur. Des mesures sont prises pour offrir aux emprunteurs des moyens de gérer leurs paiements plus élevés, par exemple prolonger leur période d’amortissement. « Toutefois, le recours à ces options pourrait réduire la capacité des emprunteurs à absorber les chocs à l’avenir », prévient-elle.
L’inquiétude est croissante, d’autant que l’endettement hypothécaire des ménages demeure à des niveaux records et que leur endettement global est le plus élevé parmi les pays du G7. Pourtant, les prêts hypothécaires constituent 75 % de cet endettement global et ceux en souffrance (depuis 90 jours ou plus) se situaient toujours à de faibles niveaux au quatrième trimestre de 2022. Sous 0,9 %.
Qualité de l’emprunteur
Or, cette dernière lecture n’est pas sans renfermer un effet de distorsion provoqué par la pandémie, avec ses reports des paiements hypothécaires, l’augmentation de l’épargne globale des consommateurs attisée par les programmes d’aide gouvernementaux, et avec la croissance du revenu disponible.
Derrière ce voile, il est mesuré que les taux de cartes de crédit et de prêts automobiles en souffrance ont augmenté de façon continue tout au long de 2022. En fait, pour les prêts automobiles, il a maintenant retrouvé son niveau d’avant la pandémie, lit-on dans le Rapport de la Société canadienne d’hypothèques et de logement sur le secteur des prêts résidentiels. La SCHL ajoute que le taux de marges de crédit en souffrance, qui suivait une tendance à la baisse depuis le troisième trimestre de 2020, a augmenté au cours des deux derniers trimestres de 2022. Et si les prêts et les marges de crédit hypothécaires en souffrance ne suivent pas le mouvement pour l’instant, ce sont très souvent des indicateurs tardifs, souligne-t-elle.
Au quatrième trimestre de 2022, des hausses du taux de prêts en souffrance ont été enregistrées chez les consommateurs sans prêt hypothécaire pour tous les types de crédit. Pour les emprunteurs hypothécaires, il demeurait inférieur aux niveaux d’avant la pandémie. Cependant, pour ces derniers, le taux des cartes de crédit en souffrance a augmenté à la fin de 2022, inversant la tendance des dernières années.
L’agence fédérale s’attarde également au rapport sur l’amortissement total de la dette (ATD), qui se calcule en divisant le remboursement du capital, de l’intérêt, des taxes, du chauffage et des autres dettes par le revenu annuel brut. Si la SCHL limite ce rapport à 44 % pour les nouveaux prêts hypothécaires assurés, elle observe que la proportion des nouveaux prêts non assurés dont le rapport ATD est supérieur à 50 % « a augmenté de 49 % en seulement trois ans, pour atteindre 16,6 % au quatrième trimestre de 2022 ». À l’inverse, la proportion de nouveaux prêts non assurés dont le rapport ATD est égal ou inférieur à 40 % a diminué de plus du quart.
Prêteurs non traditionnels
Autre sujet de préoccupation, il est retenu que si la dette hypothécaire globale au Canada a augmenté de près de 6 % d’une année à l’autre au troisième trimestre de 2022, dans l’intervalle, l’actif sous gestion des 25 principales sociétés de placement hypothécaire a crû de plus de 24 %. « Le secteur des prêts non traditionnels a continué d’attirer un grand nombre d’emprunteurs qui n’ont pas été en mesure de satisfaire les critères d’admissibilité d’un prêteur traditionnel. » La SCHL met également en exergue le fait qu’une proportion accrue d’emprunteurs hypothécaires ayant recours à ces prêteurs non traditionnels renouvellent leurs prêts chez eux, toujours en raison des difficultés éprouvées à devenir admissibles à un prêt traditionnel. À la fin de 2022, la proportion de prêts ainsi renouvelés atteignait 35 %, contre 28 % au début de 2022.
Dans un contexte où les emprunteurs hypothécaires demeurent pendant une longue période dans le secteur des prêts non traditionnels et paient donc une prime sous forme de taux d’intérêt de beaucoup supérieur, « l’abordabilité demeure un problème pour ces emprunteurs, qui pourraient se retrouver dans des situations financières difficiles ».
Enfin, depuis le deuxième trimestre de 2021, les nouveaux prêts hypothécaires non assurés assortis d’une période d’amortissement de plus de 25 ans gagnent en popularité chez les banques à charte fédérale. Dans le segment des prêts à taux variable, le Mouvement Desjardins indique qu’environ 75 % des prêts ont atteint le taux limite. Les institutions vont se montrer flexibles en allongeant la période d’amortissement, une part croissante de leur portefeuille hypothécaire se retrouvant maintenant amortie sur une période de 30 ans ou plus. Mais est-ce là « une bombe à retardement ? » de se demander les économistes de l’institution coopérative, amplifiant l’inquiétude soulevée plus haut par Carolyn Rogers et par la SCHL.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.