La résistance au changement
À l’ouverture des audiences publiques sur le projet de loi 23, le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a déclaré qu’il entendait « résister à la résistance au changement ». Dans son esprit, le changement semble être synonyme de progrès et ceux qui s’y opposent manquent nécessairement d’ouverture d’esprit ou cherchent à protéger leurs intérêts.
Quand on entreprend une réforme qui s’annonce aussi délicate, la dernière chose à faire est de se lancer d’entrée de jeu dans les procès d’intention. Il est vrai que, sous couvert de vertu, les motivations des divers intervenants peuvent être discutables, mais on ne change pas toujours en mieux.
La récente volte-face du gouvernement Legault sur le Programme de l’expérience québécoise (PEQ) démontre bien que la réforme effectuée par Simon Jolin-Barrette durant le premier mandat, qui devait mieux répondre aux besoins de l’économie québécoise, était mal avisée.
N’eût été la résistance à la tentative de « réingénierie » de l’État du gouvernement Charest, qui prétendait aussi résister aux « groupes d’intérêts qui bénéficient du statu quo », le filet de sécurité mis en place à l’époque de la Révolution tranquille aurait été dangereusement fragilisé.
Tout le monde convient que le réseau de l’éducation est dans un état désastreux et M. Drainville est sans doute animé des meilleures intentions, mais la dernière chose à faire serait d’empirer les choses en cherchant à les améliorer. S’il y a un domaine où les apprentis sorciers n’ont pas leur place, c’est bien celui-là.
Il est évidemment aberrant que le ministère ne dispose pas de données fiables sur l’état de ses effectifs, le niveau de qualification des enseignants, le taux de rétention, de roulement et d’absentéisme, le nombre moyen d’élèves par classe, etc. On ne blâmera certainement pas M. Drainville de vouloir les obtenir.
La population est parfaitement capable de faire la différence entre ceux qui recherchent le bien commun et ceux qui défendent des intérêts corporatistes. Provoquant des cris d’indignation, la volonté de centralisation qu’on prête à M. Drainville laisserait la population indifférente si elle croyait que cela permettrait de régler la pénurie d’enseignants, d’orthophonistes ou de psychologues. De la même manière, si la réforme Barrette avait assuré un meilleur accès à un médecin et le recrutement d’infirmières, on l’aurait applaudie à tout rompre.
Le ministre de l’Éducation semble malheureusement incapable de démontrer en quoi les changements qu’il propose favoriseront la réussite scolaire et rendront l’école plus attrayante pour les enseignants. Les sombres perspectives annoncées par les uns et les autres risquent plutôt de les rebuter.
Certes, les négociations dans le secteur public ne sont pas de nature à faciliter le dialogue. On peut comprendre M. Drainville d’être impatient d’agir, mais il aurait très bien pu se concentrer sur les mesures de rétention et d’accélération de la qualification des enseignants, quitte à s’attaquer ensuite à la réforme des structures.
Il n’est pas le mieux placé pour dénoncer les défenseurs du statu quo. S’il y a un changement fondamental à effectuer dans le système d’éducation, ce n’est pas de revoir la gouvernance des centres de services scolaires, mais plutôt d’éliminer l’iniquité qui résulte de « l’école à trois vitesses », dont le ministre s’entête à nier l’existence.
Jeudi, en commission parlementaire, l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire (AMDES) a repris à son compte le constat dévastateur fait en 2016 par le Conseil supérieur de l’éducation, dénonçant « une situation dégradée où les écoles publiques, la troisième vitesse, ne peuvent plus compter sur une mixité sociale qui auparavant aidait les plus vulnérables à se faire un chemin vers la réussite ».
M. Drainville qualifie de « biais idéologique » ceux qui constatent que la sélection effectuée par les écoles privées et la prolifération des projets particuliers dans les écoles publiques créent une pression insoutenable sur les classes « ordinaires », où la proportion d’élèves aux prises avec des problèmes d’apprentissage qui risquent de raccourcir leur parcours scolaire va en augmentant.
Plutôt que de chercher à corriger cette injustice criante, le ministre accuse ceux qui la dénoncent de regarder avec hauteur les élèves qui choisissent d’exercer un métier manuel plutôt que de poursuivre des études collégiales ou universitaires. On serait tenté de lui retourner le reproche qu’il m’a adressé récemment en disant que sa position est « un tantinet démagogique ».
« Il y a beaucoup de résistance au changement. Toutes les fois que tu veux changer quelque chose, il y a toujours des lobbys qui se lèvent pour dire : “Pas moi, faut surtout pas changer” », a déploré M. Drainville. Il en fait une éclatante démonstration.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.