Le hockey sous les palmiers

Autour de 1870, une poignée de joueurs de crosse de Montréal qui s’ennuyaient en hiver, ayant chaussé des patins, décidèrent d’adapter leur sport à la glace. Ils troquèrent rapidement la crosse munie d’un panier contre un bâton terminé par une palette.

Mais ces gars-là, l’été, jouaient aussi au rugby, et le jeu qu’ils inventèrent allait en conserver l’empreinte : au début, les équipes comptaient neuf joueurs et seule la passe arrière était autorisée. Un demi-siècle allait s’écouler avant l’introduction de la passe avant, et cette présence du rugby anglais dans son ADN pourrait expliquer la prédilection de notre sport national pour la rudesse physique et la mise en échec.

Lorsque les Russes se mirent enfin au hockey, en 1946, la passe avant existait depuis 20 ans. Les premiers hockeyeurs de là-bas étaient, en été, surtout des joueurs de soccer, et le hockey russe, pratiqué sur une plus grande surface, évolua tout naturellement autour du jeu de passe. La fameuse Série du siècle de 1972 ne fut pas seulement l’affrontement de deux systèmes idéologiques. Deux histoires d’un même jeu s’y rencontraient.*

Il y a, encore aujourd’hui, une histoire nord-américaine et une histoire internationale du hockey, et elles ne coïncident pas souvent. Ainsi, profitant de l’exclusion de l’ennemi russe pour cause de guerre d’agression, le Canada vient de remporter un prétendu championnat mondial de hockey contre des puissances aussi intimidantes que l’Allemagne et la Lettonie (!). Ça se passait en Finlande, et où étaient donc les fils du pays ?

Réponse : sur les patinoires de la Floride et de la Caroline, où pas moins de six d’entre eux (dont le capitaine des Panthers, un tricoteur de feintes savantes du nom de Barkov) disputaient la finale de l’Association de l’Est de la LNH.

Au hockey, comme pour le baseball, le football et le basket, chacun sait bien que le véritable champion du monde est celui qui va remporter une finale tenue sur le continent américain. Pour la seconde fois seulement — après celle de 2020 entre les Stars de Dallas et le Lightning de Tampa Bay —, la série décisive de 2023, ultime célébration d’un jeu inventé parmi les bancs de neige de Montréal, va se dérouler entièrement dans la Sun Belt. Ce qui m’amène à souligner un intéressant contresens : pourquoi appelle-t-on « Ligue nationale de hockey » une organisation qui, dans les faits, est binationale depuis près d’un siècle ?

Comme pour la sujétion du pouvoir canadien à la monarchie britannique, j’imagine que celui qui pose cette question se verra répondre quelque chose comme : ce n’est pas important, et puis, ce serait trop compliqué de changer. Et c’est vrai que la LNH a des problèmes plus urgents à régler, comme la poursuite de son expansion vers le sud, cette poussée concertée aux allures de vieux rêve de « snow bird ».

On l’a assez dit, cette coupe sous les palmiers, c’est le triomphe du commissaire Bettman. Il devient tentant de parler, dans son cas, d’un syndrome Lindros : « Anywhere but Québec »… Mais l’explication d’un dédain aussi clairement affiché à l’endroit d’une ville que les patineurs millionnaires regardent comme le fond de la Sibérie est sans doute plus simple et elle tient en trois mots : « Follow the money. »

La ligue était constituée, à l’origine, de seulement quatre équipes, toutes canadiennes et dont ne subsistent aujourd’hui que le Canadien et les Sénateurs (qui se souvient encore des Arenas de Toronto et des Wanderers de Montréal ?). Au fil des expansions, des fusions et des faillites, la proportion d’équipes américaines a fluctué, passant des deux tiers du noyau « original » de 1942 à dix sur douze en 1967 et à 25 sur 32 aujourd’hui.

La Coupe a passé les trente dernières années aux États-Unis. Au cours de la même période, le Canada a fourni quatre finalistes qui, à l’exception des Sénateurs en 2007 (4-3), se sont comportés en honnêtes figurants et inclinés en cinq matchs. Alors qui ramènera la Stanley au Canada ? Avec l’actuel marché des joueurs autonomes, on ne bâtit plus de dynasties, seulement des équipes capables de tout rafler dans l’année qui vient.

On croyait les Maple Leafs équipés pour veiller tard, mais Toronto reste Toronto… À Edmonton, Connor McDavid est le meilleur joueur du monde et il peut compter sur Leon Draisaitl, mais quand Gretzky et Kurri quittaient la glace, leurs adversaires se retrouvaient pris avec deux autres futurs membres du Temple de la renommée : Mark Messier et Glenn Anderson. Première nouvelle des Oilers depuis leur élimination : ils ont mis leur espoir à la défense, Philip Kemp, sous contrat au salaire minimum, un misérable 775 000 $ par année. Attendons un peu avant de commencer à nous énerver…

Quant à la reconstruction de notre Sainte-Flanelle autour du tandem Caufield-Suzuki, elle fera sûrement les beaux jours des fabricants de réalité sportive alternative et d’opinions creuses pendant encore un an ou deux, mais les connaisseurs sont unanimes : sur le plan financier, là où tout se joue désormais, les formations canadiennes n’arrivent plus à suivre la parade.

Pourquoi un jeune hockeyeur voudrait-il affronter les attentes de tout un peuple à l’épicerie quand il peut passer de l’aréna au terrain de golf sans changer de vêtements ? De plus en plus, le hockey d’ici va ressembler au cinéma canadien : on développe le talent local, et ensuite, ceux qui se démarquent passent la frontière.

Et pour les Québécois, il restera toujours Las Vegas, dont les Golden Knights sont rendus en grande finale avec des mousquetaires appelés Jonathan Marchessault, William Carrier et Nicolas Roy. Lors du troisième match de la finale de l’Ouest, remporté 4-0, ces trois noms se sont retrouvés au pointage. Une belle histoire comme les aimait tonton Angélil.

Carrier, Roy, Marchessault… les trois colombes ?

*Ces informations se trouvent dans Le match, de Ken Dryden.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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