En hommage à Michel Côté
Comme tout le monde, j’ai été très attristé par la mort de Michel Côté. Je ne le connaissais pas personnellement, mais je l’ai vu jouer dans de nombreux films et téléséries et j’estimais son immense talent. Il était comme un vieil ami. Il m’a ému, fait sourire, fait réfléchir et fait vivre bien des émotions. Je le salue et offre mes condoléances à sa famille et à ses proches.
Je lui dédie cette réflexion sur ce que le cinéma peut apporter à l’éducation.
On peut certainement apprendre par le cinéma. Personne ne doutera qu’un film historique, bien fait et fidèle, qu’un film biographique avec les mêmes qualités, qu’un documentaire peut nous apprendre bien des choses. Mais c’est de la fiction dont je veux parler, justement parce qu’avec elles, les choses sont moins claires.
Apprendre de la fiction cinématographique
Commençons par le plus évident : les films qui, justement, parlent d’école et d’éducation. Vous en avez sûrement des préférés. Moi, ce serait d’emblée Topaze, de Marcel Pagnol, La société des poètes disparus, avec le regretté Robin Williams, et Le club Vinland, de Benoît Pilon. Ce que sont des enseignants, des écoles, ce que signifient apprendre, enseigner sont, avec de nombreux autres sujets, et sans surprise, des thèmes sur lesquels ces films font réfléchir.
Mais allons plus loin. Je me limiterai à deux observations.
Le cinéma peut être une importante source de réflexions, souvent très profondes, voire philosophiques ; il contribue au cours d’éthique.
S’interroger et ressentir
Le cinéma invite en effet souvent à nous poser des questions sur plein de sujets et notamment sur nous-mêmes. Prenez tous ces films de science-fiction, avec leurs extraterrestres ou leurs robots, qui ne sont pas des humains. Impossible de les regarder sans se demander ce que nous sommes, ce qui nous singularise, ce qui menace notre existence, sans réfléchir aussi à ce qu’est la conscience.
Le cinéma est justement un merveilleux observatoire pour voir à l’oeuvre cette extraordinaire faculté humaine qui nous permet d’attribuer à autrui, et même à un autrui fictif ou à un robot, des états mentaux. Ce qui s’ouvre alors est prodigieux. On infère par elle que tel personnage agit ainsi parce qu’il est jaloux, ou prétentieux, ou malveillant, etc. Et on découvre ce que cela fait d’être habité par ces émotions.
Le cinéma, par son jeu de caméra et de direction photo, transforme des comédiens en personnages, et si l’on ajoute de la musique, il peut devenir un outil très puissant pour faire vivre des émotions. On peut donc, et cela a été vérifié, utiliser le cinéma dans l’enseignement de l’éthique. Par lui, on peut par exemple développer de l’empathie, en apprenant, en revivant, ce que cela fait d’être ceci ou cela.
Mais je tiens à dire qu’on peut aussi apprendre du cinéma un truc utile pour enseigner.
Les mérites des histoires
Une des justes manières de définir l’être humain (il est un être de raison, qui a la faculté de parler, d’attribuer des états mentaux, etc.) est de rappeler qu’il est aussi un animal qui raconte des histoires, qui y prend goût, et qui, par elles, apprend des choses.
Comme vous en avez fait d’innombrables fois l’expérience, une bonne histoire nous intéresse ; elle est facile à comprendre et on s’en souvient assez facilement. Comment fonctionne-t-elle pour produire ces effets ? Comment sont structurés une bonne histoire, un bon roman, un bon scénario de film ?
Daniel T. Willingham, de qui j’ai appris ce qui suit, suggère qu’un large consensus en décline quatre caractéristiques.
Une bonne histoire relie causalement des événements et ne se contente pas de les rapporter chronologiquement. Elle concerne un ou des personnages désirant accomplir quelque chose, des obstacles se dressent alors devant lui ou eux. La poursuite de ce but est faite de nombreuses complications et péripéties. Enfin, elle met en scène des personnages qui ont une personnalité particulière pour une raison ou pour une autre, laquelle se dévoile dans des actions, par des gestes posés.
Pensez à votre film préféré de Michel Côté et vous retrouverez tout ça.
Le rapport avec l’éducation ? Willingham a suggéré de s’inspirer du fonctionnement des histoires, de leur efficacité à susciter l’intérêt, à être comprises et à permettre de mémoriser des choses, pour penser à la manière de décliner une leçon.
Cela ne signifie pas de raconter une histoire en classe, ce qui peut bien entendu se faire avec succès. Mais il s’agit de structurer une leçon en s’inspirant de ce qui fait le succès des histoires.
Willingham donne cet exemple. Ce qu’on veut que les étudiants apprennent est en fait la réponse à une question. En soi, la réponse n’est presque jamais intéressante. Mais si vous comprenez bien la question, elle le devient. Une bonne histoire commence justement par poser un problème perçu comme intéressant avant de décliner la réponse.
Belle suggestion. Gratuite en plus. Profitez-en, car comme dit le personnage que joue Michel Côté dans La petite vie, d’habitude, on ne paye pas ce genre de conseil avec des « peanuts, mon colonel ».
Docteur en philosophie, docteur en éducation et chroniqueur, Normand Baillargeon a écrit, dirigé ou traduit et édité plus de soixante-dix ouvrages.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.