Le mot en m

Outre l’aspect financier qui peut jouer, comment expliquer que des mères acceptent de donner ce bébé inséminé dont elles sont dissociées génétiquement comme on fait un don d’organe?
Photo: iStock Outre l’aspect financier qui peut jouer, comment expliquer que des mères acceptent de donner ce bébé inséminé dont elles sont dissociées génétiquement comme on fait un don d’organe?

Chère personne avec une prostate,

Je vous écris aujourd’hui pour répondre à la crise d’hystérie (le mot vient d’utérus, désolée) que vous avez faite à ma table il y a deux semaines dans un charmant café du Plateau-Mont-Royal que je fréquente depuis une trentaine d’années. Le printemps y a des odeurs de fleur d’oranger, le thé parfumé à la cardamome est un voyage sensoriel. Je déjeunais tranquillement avec une jeune collègue lorsque vous avez surgi pour me hurler dessus : JE VOUS EMMERDE !! JE VOUS EMMERDE !! (J’avais compris pour la phase anale.) VOUS ÊTES UNE MAUVAISE PERSONNE !!

Pardonnez les majuscules ; lorsqu’on manque d’arguments, on hurle. J’ai deviné lorsque vous avez mentionné le mot « enfant » que vous faisiez référence à l’article qui m’a valu une plainte au Conseil de presse l’année dernière sur la GPA (gestation/grossesse pour autrui). https://bit.ly/3C4V45t

Heureusement que nous n’étions pas en Floride, vous m’auriez butée. (Il y a des caméras dans les lieux publics, en passant…)

Je ne pensais pas me repencher sur le sujet, même si le projet de loi no 12 concernant notamment les mères porteuses a été déposé en février par le ministre Simon Jolin-Barrette et adopté cette semaine à l’Assemblée nationale. Je sais, la culture de l’annulation fait bien son travail, on ne dit plus « mère » porteuse, on dit « femme » porteuse, et même le mot en f a failli passer à la trappe le mois dernier. Une motion a été adoptée à l’Assemblée nationale pour conserver le mot « femme » dans la loi, car le PLQ proposait plutôt « personne » porteuse.

Comme dans « personne avec un utérus » que tant d’experts qui craignent de faire des omelettes en marchant sur des ovocytes s’emploient à utiliser désormais pour ne pas irriter les rares « personnes » barbues qui accouchent. C’est comme la fête des Mères, ça semble être de plus en plus problématique. C’est l’injonction paradoxale : sois mère et cache-toi.

La « matante spéciale », ou l’art d’euphémiser

J’ai écouté le numéro touchant des intervenants de la série Porteuses de vie à Tout le monde en parle et entendu le terme « madame porteuse » dans la bouche d’un enfant de 12 ans.

J’ai constaté à quel point on célébrait gentiment cette dissonance cognitive entre les ovules (une donneuse américaine blanche, jolie, au QI d’astrophysicienne entre 21 et 35 ans, en général) et l’utérus de la personne qui offre un Airb&bébé pendant neuf mois. Dans certaines agences, on propose même le cours « Comment ne pas se sentir mère » aux femmes gravides dont la neurobiologie cérébrale les prépare pourtant à accueillir un enfant, mais qu’on confond avec des imprimantes 3D.

Le pédiatre Jean-François Chicoine, spécialisé en adoption à l’hôpital Sainte-Justine, a beaucoup étudié la question des GPA, lu les mémoires présentés par des associations féministes et les livres Maternité dérobée et Ventres à louer, prodigué des conseils au gouvernement avant que le PL12 ne soit déposé. Lorsque je le contacte, le flamboyant pédiatre, bien connu pour ses interventions sur les plateaux de télé et à la radio, ne mâche pas ses mots : « On assiste à une représentation circassienne et honteuse du point de vue du bébé. On passe pour des vieilles matantes indignées si on ose s’interroger. Je ne donne pas une opinion ; j’offre une expertise basée sur 40 années en pédiatrie, dont 35 ans en adoption. Je ne suis pas un militant, je m’en tiens aux faits. Je ne suis ni d’extrême droite ni conservateur, je dis juste que les désirs des adultes au présent ont des effets potentiels sur toute la vie des enfants. Dans cette représentation de la parentalité décalée, on considère le bébé comme un tube digestif dont l’identité serait un détail. C’est assez récent, depuis Dolto, qu’on sait que le bébé est une personne. »

Le médecin ne prend pas le lien mère-enfant et père-enfant à la légère et souhaite qu’on encadre l’industrie naissante de la GPA et que les parents y soient évalués pour exercer leur « parentalité d’exception » : « Dans les 20 dernières années, l’adoption a diminué en Occident — on en comptait de 40 000 à 50 000/année — et la courbe qui monte, c’est celle des mères porteuses internationales. Ça fait un X sur le graphique. »

Comment sommes-nous passés de la condamnation la plus ferme des séparations de filles-mères de leurs bébés  dans les années les plus noiresde l’influence de l’Église au Québec ou en Australie, de la condamnation des séparations des enfants autochtones par divers moyens au Québec, à la glorification de la capacité de la mère porteuse à se séparer de son enfant ? 

Le doc Chicoine a même refusé de participer à la série Porteuses de vie, un « publireportage lelouchéen » sur cette expérience avec le vivant : « Ce n’est pas éthique, autant de sensiblerie. Je ne voulais pas être le méchant de service. Nous sommes dans la mercantilisation de tout, de l’enfance y compris. C’est une affaire économique, une industrie en croissance. Plusieurs pays porteurs ont dorénavant interdit la pratique, et le problème, c’est que ça coûtera moins cher de le faire au Québec, comme au Canada — frais de santé et accouchement en partie assurés par l’État, le passeport canadien aussi — pour le tourisme procréatif. »

Le Dr Chicoine parle d’industrie du désir : « un BBQ, une piscine, un voyage en Rep Dom et un bébé de mère porteuse, soi-disant altruiste en plus… »

La blessure d’abandon

La question se pose : le CHU Sainte-Justine va-t-il devenir le Centre « personne-enfant » ?

« À la Faculté de droit, on m’a demandé mon opinion : la mère de l’enfant est celle qui accouche », tranche le Dr Chicoine, qui compte des enfants de la GPA parmi ses patients, parfois conçus à l’étranger. « Ce passage-là est une rupture, pas une chosification. Le bébé reconnaît la voix de celle qui l’a porté et forgé. Tout le monde invoque le traumatisme dans notre société, mais les bébés, non ? Avec la GPA, il y a une blessure, une cassure, une rupture. Mon travail, c’est que ça ne devienne pas une fracture. On est dans l’adoption anticipée. »

« En cela, le travail du pédiatre intervenant auprès d’un enfant né d’une gestation par procuration, ainsi que plus ou moins directement aux côtés de ses parents fantasmés/génétiques/d’intention, ne diffère pas de celui qui s’exerce avec un enfant abandonné et ses familles soignantes d’accueil/adoptives, d’autant que la résolution des questionnements fondateurs du type “qui a souffert ou profité, ou non, de ma naissance ?” y paraît tout aussi vitale, et pas moins complexe à aborder en consultation. »

Et il y a des séquelles d’abandon : « La blessure narcissique se soulage, mais ne guérit pas, dit-il. Vers sept ans, l’enfant veut connaître ses origines. Pour savoir où on va, faut savoir d’où on vient, sur le plan personnel et sociétal. »

C’est qui ma maman ?

Outre l’aspect financier qui peut jouer, comment expliquer que des mères acceptent de donner ce bébé inséminé dont elles sont dissociées génétiquement comme on fait un don d’organe ?

« Y’a des femmes qui adorent être enceintes. Ça n’a rien d’altruiste. Qu’est-ce que tu veux que je dise contre la Sainte Vierge ? Et le Saint-Esprit, ici, c’est le docteur. Notre erreur, c’est d’approcher ce monde-là avec notre éthique, une morale, un jugement sur les facteurs de risques. On est ailleurs… »

Pour le médecin, il existe plusieurs mères et il l’explique aux enfants en consultation : « J’utilise les termes “mère mitochondriale”, “mère ovulaire”, “mère d’élevage ou d’éducation ou d’accueil”, “mère porteuse ou de ventre”, “maman”. Tu peux avoir plusieurs mères, mais tu as une seule maman. Je fais du scrapbooking avec eux pour construire leur arbre généalogique. »

« Pour les parents d’intention, le lien génétique est primordial, surdimensionné, mais que l’enfant n’y ait pas accès pour construire son identité, ça ne leur passe pas par la tête. Et le lien avec l’enfant, le bonding, ne se fait pas automatiquement, il est plus subtil à instaurer. Ce sont des situations extrêmement compliquées, pas juste de bien belles histoires. »

N’en déplaise aux personnes qui n’ont pas d’utérus, mais font des crises d’hystérie.

Joblo

 

P.-S. - On m’a suggéré de porter plainte à la police. Mon fils fait dire que je ne suis pas une mauvaise personne : « Tu fais juste ta job, mamou ! »

cherejoblo@ledevoir.com

Souri en lisant le statut de la sexologue Jocelyne Robert sur FB. « Je ne suis pas une personne avec un utérus. Je suis une femme avec un cerveau. » Il est heureux que tous et toutes ne s’aplatissent pas devant la culture de l’annulation : « Longtemps perçue et définie comme un être sans pénis, voilà la femme devenue la personne avec un utérus. Même dialectique d’invisibilisation. » https://bit.ly/3WH1u45

Lu les mémoires déposés en mars 2023 par PDF (Pour les droits des femmes) https://bit.ly/45BvMtd.

Et celui du WDI Québec (Women’s Declaration International) https://bit.ly/43tYA4Q. Ont-ils été lus par le ministre ?

En passant, la SPCA exige qu’un vétérinaire approuve la séparation d’une chatte de ses chatons avant huit semaines…

Les mémoires nous informent sur les nombreux risques médicaux courus par les femmes donneuses d’ovules et porteuses: risques de prématurés (5 x), césariennes (3 x), hypertension (4 x), prééclampsie (4,5 x) et complications obstétricales diverses, sans oublier davantage de dépressions post-partum.

Quant aux bébés, les orphelinats ukrainiens en 2018 (avant la guerre) étaient remplis à moitié d’enfants rejets de GPA (gestation/grossesse pour autrui), abandonnés par les parents commanditaires. Si jamais vous cherchiez un enfant à adopter… Comme m’a expliqué une psy pour enfants, le désir d’enfant est bien légitime, mais ne doit pas justifier toutes les dérives. L’intérêt de l’enfant prime les besoins des adultes.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.



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