Entre nations

J’aime bien la récente publicité du gouvernement du Québec qui met en vedette les 11 nations autochtones d’ici. Réalisée par la cinéaste mohawk Sonia Bonspille Boileau, la pub, très belle, affirme qu’« entre nations, on gagne à se connaître ». En conclusion, en s’adressant à la nation québécoise, une jeune Autochtone dit doucement : « Maintenant, tu nous vois, et c’est le début de quelque chose. » Souhaitons-le.

Selon un sondage Léger mené en 2020, 73 % des Québécois ont une bonne opinion des Premières Nations. Pourtant, 45 % des sondés considèrent que les relations entre les Québécois non autochtones et les Premières Nations sont mauvaises. On voudrait que ça marche, peut-on en conclure, mais on constate que ce n’est pas facile.

En 1979, déjà, dans son ouvrage Destins d’Amérique, l’anthropologue Rémi Savard notait le malaise. « Le fond des choses, écrivait-il, c’est que notre relation à l’Autochtone a toujours été et demeure ce qu’il y a de plus trouble en nous […]. » Il importe, continuait-il, d’admettre « que notre propre différence passe par une reconnaissance également claire et précise de la leur ».

Je trouve ces résultats de sondage et cette épigraphe de Savard dans Québécois et Autochtones (Boréal, 2023, 280 pages), un ouvrage collectif sous la direction de l’historien François-Olivier Dorais et de la politologue Geneviève Nootens.

La grande question que pose cet ouvrage est la suivante : « Comment, donc, articuler le récit historique du Québec comme nation minoritaire et comme société dominante dans l’espace de ses frontières avec la construction par les Premières Nations de leur(s) propre(s) historiographie(s) ? »

Ne plus oublier ou invisibiliser les Autochtones en faisant l’histoire du Québec passe-t-il par leur pleine intégration au récit national, par des histoires parallèles, les leurs — les 10 Premières Nations et les Inuits n’ont pas la même histoire — et la nôtre, ou par des histoires imbriquées, en dialogue ?

Les Québécois ont pu croire, par exemple, qu’il suffisait de remplacer l’exclusion par l’inclusion pour témoigner de leur souci de justice. Les Autochtones, dans cette logique, accèdent au statut de Québécois à part entière. Or, ce n’est pas si simple.

Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, refuse cette solution. « Je ne suis, qu’on se le dise, ni Canadien ni Québécois. Je suis Innu. » Ce serait donc lui faire violence que de l’intégrer de force à la nation québécoise dans un souci de reconnaissance.

Les Québécois indépendantistes, de la même manière, ne veulent pas qu’on dise d’eux qu’ils sont des Canadiens, même s’ils réclament, en toute justice, la reconnaissance de leurs droits de citoyens par le Canada.

Par ailleurs, comme le note l’anthropologue Gilles Bibeau, même si Picard n’est ni Québécois ni Canadien, « cela n’empêche pas de considérer que le peuple des Innus auquel [il] appartient a pleinement participé à la construction du Québec ». Il doit donc avoir une place dans cette histoire.

L’historien Brian Gettler, qui souligne justement que les événements clés de l’histoire ne sont pas les mêmes pour les Québécois et pour les diverses nations autochtones, suggère donc l’écriture d’histoires distinctes, tout en insistant sur la nécessité du dialogue.

La poète innue Marie-Andrée Gill, convaincue que « la collaboration est incontournable » entre les uns et les autres, plaide avec enthousiasme pour une « histoire nationale du Québec [qui] inclut vraiment l’histoire des Premières Nations ». Elle se dit surprise de l’attachement des Autochtones du Québec au Canada et de leur opposition à la souveraineté du Québec, alors qu’elle voit « tellement de possibilités, d’alliances » potentielles entre le Québec et les Premières Nations.

Le grand moment de cet ouvrage collectif est l’entretien avec le sociologue et historien Denys Delâge, mené par François-Olivier Dorais. Pour Delâge, l’histoire de la relation entre les Québécois et les Autochtones est à la fois une histoire coloniale faite de rapports de force, au détriment des seconds, et une histoire humaine riche de rencontres culturelles.

Les emprunts européens aux Autochtones sont nombreux et ont permis aux colons de développer une saine critique de leur culture d’origine. Les Autochtones, ajoute Delâge, « ont aussi beaucoup pris des colons européens », notamment l’écriture et la musique religieuse.

Faire l’histoire de ces relations, explique l’historien, c’est reconnaître ces saines interactions, mais assumer aussi « la responsabilité d’un héritage et d’une mémoire d’injustices commises à l’endroit des Autochtones », tout en évitant le stérile mode accusatoire. « Il importe de faire, d’écrire, de raconter l’histoire de nous tous », conclutDelâge. J’aime le « nous tous », qui dit l’unité dans la diversité.

Chroniqueur (Présence Info, Jeu), essayiste et poète, Louis Cornellier enseigne la littérature au collégial.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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