La CAQ, la grenouille et le bœuf
Le premier ministre Legault ne sait plus quoi inventer pour justifier la hausse de 30 000 $ du salaire des députés à l’Assemblée nationale, qui en fera de loin les mieux rémunérés de toutes les provinces canadiennes.
Dans un premier temps, il a soutenu que tout père ou toute mère de famille a le droit de gagner « le plus d’argent possible » pour assurer le bien-être de ses enfants. Un droit que n’ont apparemment pas les travailleurs du secteur public.
Constatant la faiblesse de son argument, M. Legault a rajusté le tir. « N’oublions pas que le Québec est une nation, qu’on a à gérer des pouvoirs identitaires que d’autres provinces n’ont pas à gérer », a-t-il déclaré, précisant que les élus québécois demeureront quand même moins payés que les membres de la Chambre des communes.
Il est vrai que le gouvernement du Québec assume des responsabilités dans des domaines, comme la langue ou encore l’immigration, qui préoccupent généralement moins les autres provinces ou qu’elles préfèrent laisser aux bons soins du gouvernement fédéral. On pourrait ajouter l’impôt sur le revenu, dont Ottawa assure la perception en totalité ailleurs qu’au Québec.
Si l’État québécois et ses employés, qui sont proportionnellement plus nombreux que dans les autres provinces, ont plus de responsabilités, cela signifie-t-il que les députés travaillent davantage ? Le calendrier des travaux de l’Assemblée législative de l’Ontario prévoit que les députés auront siégé 94 jours en 2023 ; à l’Assemblée nationale, on en prévoit 82.
Bien entendu, le temps consacré aux tâches législatives ne constitue qu’une partie du travail d’un député, qui doit aussi assurer une présence dans sa circonscription. Il lui faut rencontrer ses électeurs, qu’il doit aider à résoudre leurs problèmes ou à faire avancer leurs projets. Sans oublier les BBQ, les soupers spaghetti et autres épluchettes de blé d’Inde.
Le whip de la CAQ et député d’Arthabaska, Éric Lefebvre, a justifié la hausse de 30 000 $ en faisant valoir qu’il est à ce point occupé qu’il ne peut pas voir sa mère plus d’une fois par année et que ses amis ne prennent plus la peine de l’appeler durant la fin de semaine, sachant qu’il n’aura pas de temps à leur consacrer.
« J’ai 17 municipalités dans mon comté, et je dois avoir à peu près l’équivalent de 17 clubs des FADOQ [Fédération de l’âge d’or du Québec]. Les gens des clubs des FADOQ, je les vois trois, quatre ou cinq fois par année ; ma propre mère, une fois », a-t-il expliqué.
On ne doute pas que M. Lefebvre soit tout dévoué à ses commettants, comme le sont sûrement ses collègues de tous les partis, mais il n’y a aucune raison de penser que les députés des autres provinces ménagent davantage leurs efforts.
L’Assemblée nationale compte 125 députés, qui représentent 8,4 millions d’habitants. À Queen’s Park, il y en a 124 pour une population de 15,3 millions. Un député québécois représente donc environ 67 200 personnes, alors que son homologue ontarien en représente un peu moins de 123 400. On plaint tous ces parents ontariens qui sont privés du plaisir de voir leur enfant député plus d’une fois par année.
De toute évidence, les Québécois n’achètent pas l’argumentation du premier ministre. Selon un sondage Léger commandé par Québec solidaire, 74 % d’entre eux désapprouvent la hausse projetée. Un pourcentage aussi élevé signifie que les électeurs de tous les partis s’y opposent, y compris ceux de la CAQ.
Prétendre que le gouvernement ne fait qu’appliquer la recommandation d’un comité indépendant composé d’un expert en ressources humaines et de deux anciens députés, une libérale et un péquiste, relève de la malhonnêteté intellectuelle. Comment peut-on qualifier d’indépendant un comité dont le mandat était défini de façon si étroite qu’il excluait des composantes de la rémunération des députés aussi importantes que les innombrables indemnités et le régime de retraite exceptionnellement avantageux dont ils bénéficient ?
Entendre M. Legault servir l’argument de la nation était tout aussi désolant. Les députés de la CAQ veulent bien ce qui semble le meilleur des deux mondes à leurs yeux : un salaire digne d’un État souverain, à la condition que le Québec demeure une simple province.
La fable de La Fontaine à propos de la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le boeuf vient immédiatement à l’esprit.
« Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,
Tout petit prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages. »
On sait ce qui lui est arrivé.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.