Le parti de la division
J’avoue avoir hésité avant d’écrire cette chronique. Il me semble inconvenant de tirer sur des ambulances. Les libéraux québécois sont aujourd’hui dans un tel état de faiblesse que mon premier mouvement est l’empathie, ayant dirigé le Parti québécois (PQ) à une époque où on nous décrivait non pas comme une ambulance, mais comme un corbillard.
Je suis content qu’André Pratte codirige le comité de relance du Parti libéral du Québec (PLQ) avec la députée Madwa-Nika Cadet (qui était candidate libérale contre moi dans Rosemont, en 2012). Pratte est certainement la tête pensante fédéraliste la plus solide au Québec. Si quelqu’un peut trouver une assise intellectuelle distinctive sur laquelle un futur chef et une future campagne pourraient s’appuyer, c’est bien lui.
Si cette assise existe. Ce qui, dans l’univers politique actuel, n’est pas certain.
Curieux de voir dans quelle direction la réflexion se portait, j’ai pris connaissance de son discours prononcé au conseil général du PLQ. Il a abordé la question épineuse de la dose de nationalisme que les libéraux devraient afficher. « Certains, à l’intérieur comme à l’extérieur du parti, estiment que nous ne sommes pas assez nationalistes », a-t-il admis, dans un élan de lucidité (il a été jadis membre du groupe Pour un Québec lucide, soit dit en passant). Son comité sera attentif aux opinions diverses à ce sujet. Bien. Puis il a déclaré : « Une chose est sûre, cependant, notre histoire ne laisse aucun doute sur le fait que les libéraux ont joué un rôle crucial dans l’édification du Québec moderne. » Voilà qui est indubitable.
Mais de quel bois, exactement, en 2023 — ou demain, à l’élection de 2026 — se chauffera le nationalisme libéral québécois ? C’est trop tôt pour le dire. Mais nous avons eu droit à cette balise : « Nous sommes de fiers nationalistes québécois, mais notre nationalisme se veut rassembleur, inclusif. Nous rejetons le nationalisme qui divise les Québécois entre eux, parce qu’on ne bâtit pas une nation forte sur la division. »
Là, j’ai tiqué. Je me suis demandé à quel moment, exactement, le nationalisme libéral n’avait pas divisé les Québécois. À l’élection de 1962, portant sur la nationalisation de l’électricité, le plus grand geste de nationalisme économique de notre histoire ? Jean Lesage, René Lévesque et son équipe du tonnerre n’ont pas réussi à convaincre plus de 57 % des Québécois de voter pour eux. Ils ont été traités de communistes pour vouloir ainsi fouler aux pieds l’entreprise privée et endetter le Québec pour des générations. Est-ce lorsque Robert Bourassa a fait adopter une loi affirmant que le français était notre langue officielle, une étape cruciale de nationalisme identitaire ? Pas moins de deux Québécois sur trois lui ont montré la porte à l’élection qui a suivi, tellement cette proposition les divisait.
Peut-être le PLQ a-t-il mieux exprimé son nationalisme rassembleur lorsqu’il était dans l’opposition. En s’opposant par exemple à la loi 101 d’origine, pourtant plébiscitée par les Québécois ? L’alors député libéral Daniel Johnson ne déclarait-il pas que le PQ de René Lévesque voulait faire du Québec « une Albanie en ceinture fléchée » ? (Ce n’était pas un compliment.)
La vérité toute nue est qu’aucun geste fort de promotion de la nation québécoise n’est, à l’origine, rassembleur. Chaque avancée fut un combat contre les forces du statu quo, le PLQ actionnant tantôt l’accélérateur avec Lesage, tantôt le frein avec Couillard, tantôt l’accélérateur et le frein en même temps avec Bourassa.
C’est vrai pour presque tout progrès. On doit remercier Adélard Godbout d’avoir donné le droit de vote aux femmes, une proposition qui divisait profondément la province, heurtait le clergé et beaucoup d’hommes blancs médiocres, selon une expression qui, à l’époque, n’était pas en vogue.
En fait, cette rhétorique de la division est un énorme sophisme. Il n’y a de progrès que dans le combat contre un adversaire : il faut gagner, rarement par knock-out, le plus souvent aux points. En démocratie, le rassemblement est l’exception et non la norme. Sur de grands sujets sociaux — soins de fin de vie, violence conjugale, équité salariale —, nous avons su nous rassembler. D’autres — l’avortement, le mariage pour tous — furent arrachés de haute lutte. Nos gains nationalistes, linguistiques, identitaires, laïques, furent tous de cette dernière catégorie.
Vrai, il y a des cas où l’approche, le ton, la rhétorique peuvent chercher ou susciter la division là où elle n’a pas lieu d’être. Le meilleur cas récent étant la décision de Justin Trudeau de mener campagne en 2021 pour la vaccination obligatoire des fonctionnaires fédéraux et des voyageurs dans le seul but de coincer les conservateurs dont la position était plus, disons, « libérale ». Le député Joël Lightbound a eu le courage de dénoncer cette dérive.
Il y a bien un moment, un seul, où le nationalisme libéral fut véritablement rassembleur. Après Meech, quand Robert Bourassa et son parti se sont formellement engagés à donner une dernière chance au Canada d’accorder des pouvoirs substantiels au Québec, sans quoi ils proposeraient la souveraineté, s’est ouverte une période de grâce où plus des deux tiers des Québécois étaient enfin unis dans une démarche commune sur leur avenir national. Dommage que ce n’ait été qu’une tricherie débouchant sur un naufrage. Il faudrait écrire un livre sur le sujet. Peut-être deux.
À moins qu’André Pratte et le PLQ veuillent retenter cette expérience, je leur propose de laisser aux partis uniques et autres dictatures l’illusion de l’unanimisme et d’assumer plutôt que la division est une condition intrinsèque de l’exercice démocratique, les partis étant des avocats plaidant leurs causes contradictoires devant un jury qui décide, à la majorité, qui a raison et qui a tort. Et c’est très bien ainsi.
Père, chroniqueur et auteur, Jean-François Lisée a dirigé le PQ de 2016 à 2018. | jflisee@ledevoir.com / blogue : jflisee.org
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.