La planète rouge
Les partis politiques n’aiment pas les prophètes de malheur. En octobre 2003, le politologue Jean-Herman Guay avait créé une véritable commotion parmi les délégués au conseil national du Parti québécois (PQ) quand il leur a dit que la formation avait peut-être été celle d’une seule génération et que son obsession référendaire risquait de lui être fatale.
Bernard Landry ne l’avait pas digéré. Furieux, il s’était emparé du micro pour dénoncer cet inqualifiable défaitisme. « Ce rêve de René Lévesque, de nous donner un pays complet et reconnu, il ne me quittera jamais », avait-il lancé.
Les militants péquistes ont tenté de conjurer le mauvais sort en élisant deux ans plus tard le plus jeune chef de leur histoire, André Boisclair, avec les résultats que l’on sait. Vingt ans après l’avertissement de M. Guay, le PQ peine toujours à aller chercher la jeune génération.
La semaine dernière, c’est l’ancien président de la commission politique du Parti libéral du Québec (PLQ) Jérôme Turcotte qui a joué les Cassandre, dans une lettre ouverte publiée dans La Presse à la veille du conseil général du PLQ.
À force de se voir en champion de l’unité canadienne, le parti de Jean Lesage et de Robert Bourassa a fini par perdre sa québécitude, constate-t-il. Il voit mal comment le PLQ, cantonné dans des circonscriptions où les francophones sont généralement minoritaires, pourra désormais sortir de la marginalité.
Les moeurs libérales sont différentes de celles du PQ. M. Turcotte a pu répéter son plaidoyer au conseil général réuni à Victoriaville sans provoquer d’esclandre, simplement un certain agacement, mais on a fait la sourde oreille à son message. La déconnexion par rapport à la majorité francophone est telle que c’est même à se demander si on l’a compris. C’est comme si les libéraux vivaient maintenant sur une autre planète.
Le coprésident du comité sur la relance du PLQ, André Pratte, estime que le parti n’a pas d’examen de conscience à faire, expliquant que « c’est quelque chose que tu fais quand tu as fait quelque chose de mal ».
C’est justement le cas. Pour plaire à sa base anglophone, le PLQ a eu le tort de développer une conception des droits et libertés que l’ancien ministre Benoît Pelletier a qualifiée d’« absolutiste » au détriment des droits collectifs des francophones.
Si le PQ n’avait pas été là pour faire adopter la loi 101, à laquelle les libéraux s’étaient opposés de façon catégorique, y voyant une loi « séparatiste », il y a longtemps que la « louisianisation » du Québec dont parlait le premier ministre Legault serait chose faite.
Au PLQ, on est toujours d’avis qu’il ne faut pas imposer l’utilisation du français, mais plutôt l’encourager, comme si les limites des mesures incitatives, dans un environnement où tout favorise la préséance de l’anglais, n’avaient pas été démontrées depuis longtemps. La planète rouge serait inhospitalière, voire toxique pour le français.
Un délégué a souhaité voir dans son parti « la version provinciale de l’alliance Macdonald-Cartier », qui a permis la création de la fédération canadienne, mais le poids des francophones dans le Canada de 1867 était sans commune mesure avec celui d’aujourd’hui. Alors que tous les indicateurs confirment son déclin au Québec, il était fascinant d’entendre que le PLQ avait le devoir d’en faire la promotion dans les autres provinces.
L’autre personne qui partage la présidence du comité de relance du PLQ, la députée de Bourassa-Sauvé, Madwa-Nika Cadet, a expliqué que l’objectif était d’actualiser ce que signifie être libéral en 2023, mais il était difficile de percevoir une réelle volonté de changement au conseil général.
Jérôme Turcotte n’est pas le premier à tenter de réveiller la fibre québécoise des libéraux. En mars 2001, Benoît Pelletier avait fait une sortie bien sentie au conseil général, implorant les délégués de ne pas laisser au PQ le monopole du nationalisme. La réaction avait été pour le moins tiède. C’est tout juste si Jean Charest ne l’avait pas rabroué.
En toute justice, il faut reconnaître que les libéraux ne grincent plus automatiquement des dents quand ils entendent le mot « nation », même si eux-mêmes ne le prononcent pratiquement jamais, lui préférant celui de « patrie ».
Ils se perçoivent toujours comme des « Canadiens d’abord et avant tout », comme disait Daniel Johnson fils, et semblent incapables de concevoir le Québec autrement qu’au sein du Canada.
Dans sa lettre, M. Turcotte s’inquiétait de ce « nationalisme canadianisant », disant ne plus pouvoir supporter d’être simplement « une minorité audible quand vient le temps de parler d’affirmation du Québec ». En fin de semaine, dans l’univers libéral, c’était plutôt lui qui donnait l’impression de venir d’une autre planète.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.