La haine des femmes

C’est le pays « le plus répressif du monde » contre les femmes, selon une déclaration faite le 8 mars dernier par l’ONU, lors de la 47e Journée internationale des femmes. Le régime des talibans, de retour à Kaboul depuis 21 mois, s’acharne contre les femmes en invoquant des préceptes religieux venus tout droit du Moyen Âge.

Le traitement que ce régime réserve à la moitié de la population représente un « crime contre l’humanité », passible de poursuites internationales, lit-on dans un rapport publié vendredi par Amnesty International et la Commission internationale de juristes, intitulé « La guerre des talibans contre les femmes ».

Des femmes qui ne peuvent sortir qu’avec un chaperon et ensevelies sous une burqa ; auxquelles on interdit de travailler et d’étudier, sauf à l’école primaire. Des femmes victimes d’une mise à l’écart et d’une répression « organisée, généralisée, systématique ».

On se souvient du désespoir des filles à l’Université de Kaboul en décembre dernier lorsqu’elles se heurtèrent à des portes closes.

Le dernier clou fut peut-être le décret, en mars, interdisant même le travail pour des ONG, comme la « mission d’assistance » de l’ONU, où étaient employées des femmes chargées d’intervenir auprès des femmes. Bel exemple d’idéologie qui interdit l’application de l’aide et de la solidarité internationales… par ailleurs invoquée par des talibans qui crient à la discrimination !

Ce rapport présente l’originalité d’être cosigné par deux organisations, dont l’une, la Commission internationale de juristes fondée en 1952, insiste sur l’angle juridique des outrances talibanes.

Que propose-t-on pour alléger l’épreuve des femmes afghanes — et des Afghans en général, dans un pays « de peine de mort, de torture et de châtiments dégradants » (rapport Amnesty International 2022). Un pays où, selon l’ONU, 97 % de la population vivait dans la pauvreté en 2022… contre 47 % en 2020, sous la « vilaine » occupation étrangère (2001-2021).

Laquelle occupation, malgré ses maladresses et son échec ultime, avait bâti des infrastructures, présidé à l’émergence d’une classe moyenne urbaine… et permis aux femmes de respirer.

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Le rapport est une analyse juridique détaillée de ce qui se passe en Afghanistan sous l’angle spécifique du droit des femmes : un catalogue d’horreurs haineuses et médiévales, digne du VIIe siècle.

Citation d’Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International : « C’est une guerre contre les femmes, bannies de la vie publique, empêchées d’accéder à l’éducation, de travailler, de se déplacer, soumises à des disparitions, torturées. »

Il y a donc là un sujet gravissime, qui exige selon les signataires une enquête spécifique et approfondie, en invoquant le droit international. Il y a aussi un appel à la Cour pénale internationale, la CPI qui devrait, écrit-on, inclure le « crime contre l’humanité de persécution sexiste ».

Autre élément original : les deux organisations recommandent aux autres États d’exercer la fameuse « compétence universelle », pour tenter de traduire en justice les membres des talibans soupçonnés responsables de ces crimes.

Le concept controversé de compétence universelle postule qu’un crime commis dans un pays X, justiciable par le droit international, devrait pouvoir être jugé dans un pays Y. En 1998, un juge espagnol avait fait arrêter l’ex-dictateur Augusto Pinochet à Londres, pour les crimes de son régime au Chili (la procédure n’avait pas abouti).

Par extension, le mandat d’arrêt lancé en mars contre Vladimir Poutine relève du même principe, puisqu’il engage théoriquement les responsables de pays signataires du traité fondant la CPI, à l’arrêter et à le traduire en justice… si jamais il leur tombait sous la main !

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Petite critique langagière : on note, sans être dupe, l’absence totale, dans ce texte serré de 70 pages en petits caractères — tout comme dans le rapport général 2022 sur l’Afghanistan par Amnesty International — de mots comme « islamiste », « islamique », « Coran », « musulman ». On peut trouver une ou deux fois le mot « charia » en passant, par exemple dans une note en bas de page.

Cette omission n’est pas innocente. Le régime des talibans est le stade suprême de la brutalité régressive de l’islam politique radical (avec également sur le podium l’organisation État islamique, en Syrie et en Irak il y a quelques années).

Lorsqu’on fait le procès des autorités catholiques pour les crimes commis contre les enfants, on n’a pas peur des mots « catholique », « prêtre » ou « Église ». Pourquoi fait-on différemment ici ?

François Brousseau est chroniqueur d’affaires internationales à Ici Radio-Canada. francobrousso@hotmail.com

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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