Des enseignants vous parlent de leur métier (2)
Je continue cette semaine de rapporter ce que des enseignants m’ont répondu lorsque je leur ai demandé de me nommer, sans parler des salaires, une chose, une réalité, qui rend particulièrement difficile l’exercice de leur métier et de me dire, si possible, ce qui pourrait être fait à ce propos pour rendre la profession moins pénible, plus agréable.
Après les deux enseignants du secondaire entendus la semaine dernière, voici ce que deux enseignants du primaire m’ont répondu.
Des classes ordinaires qui ne le sont plus. À l’aide !
Voici Élodie Yassa Roy, jeune enseignante passionnée. Cette année, elle enseigne à une toute petite classe : seulement douze élèves !
Avant de vous réjouir pour elle, considérez ce qu’elle me rapporte. « Sur ces douze élèves, trois sont des enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme. Sans oublier les quatre autres plans d’intervention pour des diagnostics divers. » Ouf ! Et ce n’est pas fini. « En janvier, on m’a aussi demandé d’intégrer une nouvelle élève provenant d’une classe TSA [trouble du spectre de l’autisme]. Et tout ça dans une classe… ordinaire ! » me dit-elle. Je vous laisse faire le calcul pour trouver le nombre d’élèves à qui on n’a pas diagnostiqué un problème d’un genre ou d’un autre.
Mme Yassa Roy a la chance d’avoir six intervenants qui gravitent autour de sa classe. On ne s’étonnera pas qu’elle les juge « tous aussi indispensables les uns que les autres ». Une de ces personnes lui apprend comment fonctionne le cerveau de ses élèves TSA, une autre gère comme il le faut les crises de tristesse ou de colère d’un autre élève. « Ces intervenants si bien formés pour travailler avec nos élèves nous permettent de nous concentrer sur ce qui est réellement notre travail : enseigner ! »
On devine toutefois que ce n’est pas facile de le faire dans ces conditions, que le temps qu’on peut y consacrer, en raison du nombre des élèves en difficulté, n’est pas celui qu’on souhaiterait. « La réalité est que nos classes même ordinaires ne sont plus ordinaires », me dit-elle, avant de me faire la triste confession suivante : « Je me trouve devant un défi trop grand pour moi. Je suis épuisée. Je ne peux imaginer que notre gouvernement souhaite que nos équipes de soutien à l’intégration soient dissoutes. Il est impossible qu’on s’attende à ce que les enseignants, qui n’ont aucune formation adéquate pour ce faire, soient capables d’effectuer cette tâche énorme sans le soutien de tous ces intervenants. »
Une solution à mettre au menu des négociations qui commencent et qui pourrait aider à retenir les enseignants dans la profession ? Elle saute selon elle aux yeux : « Il est primordial que les enseignants aient l’aide nécessaire pour effectuer leur tâche. »
Des parents hélicoptères aux… parents-bombes
Mon deuxième enseignant au primaire souhaite conserver l’anonymat.
Il avoue se questionner sur la place qu’occupe l’école dans certains foyers québécois et s’inquiéter que, pour le dire dans ses mots, « plusieurs parents aujourd’hui ne reconnaissent plus l’expertise des enseignants ».
On connaît bien en éducation l’expression « parents hélicoptères », qui décrit ces parents inquiets de leur progéniture et qui survolent la classe et tout ce qui l’entoure pour surveiller ce qui leur arrive.
Quand on ne reconnaît plus l’expertise de l’enseignant, on ne se contente plus de survoler : on intervient aussi parfois, et de manière absolument inacceptable. Après le parent hélicoptère, voici le parent-bombe. Notre enseignant raconte : « On observe parfois, lorsqu’un parent est en désaccord avec un enseignant, qu’il le menace verbalement, physiquement ou même qu’il menace de judiciariser une situation problématique. »
Au total, dit-il, ce qui est brisé par ce manque de confiance envers le personnel enseignant, ajouté au désengagement de certains envers leurs responsabilités, c’est le lien de collaboration entre l’école et la famille, et tout cela a des effets sur l’attitude des élèves.
« Comment garder les élèves motivés, me raconte l’enseignant, alors qu’en classe, on peut les entendre dire : “Mon père dit que…, ma mère pense que…”, qu’ils manquent d’accompagnement à la maison, qu’ils s’absentent pour des voyages familiaux ou des compétitions sportives lors des journées de classe, etc. ? Le résultat de tout cela est que, chaque jour, nous devons faire face à des comportements de plus en plus perturbateurs, souvent dirigés vers l’enseignant : refus d’effectuer le travail demandé, argumentation excessive à la suite d’une consigne, crise lorsqu’une conséquence est appliquée… »
Mais comment faire pour renverser la vapeur ? Difficile à dire, d’autant que, quand les parents critiquent, s’opposent et menacent, « les gestionnaires d’établissement et de CSS optent pour la solution facile : acheter la paix en se pliant aux demandes du parent, ce qui ajoute à la charge de travail de l’enseignant, tout ça étant fait dans le but d’éviter la médiatisation de la situation ».
Il reste qu’on devra, selon lui, agir pour obtenir une meilleure reconnaissance du rôle de l’enseignant, « en laissant les gérants d’estrade pour l’univers sportif »