Et la lumière fut
Il faut parfois du temps à François Legault pour voir la lumière. Quand il a fondé la CAQ, il était résolument favorable à l’exploitation pétrolière. « C’est peut-être la chance ou jamais de rembourser la dette qu’on a », disait-il. Il aura fallu dix ans pour que son gouvernement décide de l’interdire.
Son illumination a peut-être été un peu plus rapide dans le cas du troisième lien, mais il l’a tout de même fait miroiter pendant deux campagnes électorales avant de reconnaître son incongruité.
Après avoir présenté l’immigration comme un problème, pire, un danger mortel pour la nation auquel il reprochait à QS et au PLQ d’être insensibles, il vient de découvrir qu’elle pouvait constituer une solution. Ce changement de ton est assurément le bienvenu, même si on peut penser que les pressions des entreprises en mal de main-d’oeuvre n’y sont pas étrangères.
On ne peut que se réjouir d’apprendre que le Québec pourra accueillir chaque année 60 000 immigrants qui auront une connaissance suffisante du français avant même d’y avoir mis les pieds. Et même près de 70 000, si on compte les bénéficiaires du Programme de l’expérience québécoise (PEQ).
Sauf qu’il y a à peine huit mois, quand le PQ proposait d’imposer cette même obligation, M. Legault jugeait la chose impossible, compte tenu des qualifications recherchées par le marché du travail. Il n’était pourtant question que de 35 000 personnes.
Selon lui, il fallait plutôt les franciser après leur arrivée au Québec, principalement dans leur milieu de travail, mais les entreprises n’avaient aucune envie de se transformer en écoles de langue. Par quel prodige est-il soudainement apparu un bassin suffisant pour qu’on puisse exiger la maîtrise préalable du français à deux fois plus de gens, tout en satisfaisant les besoins du marché ?
Il est vrai que le niveau de connaissance du français qu’on entend exiger ne serait pas très élevé et varierait en fonction des catégories d’emplois. Le niveau 7, soit le maximum requis, équivaut à ce qu’on attend d’un étudiant à l’entrée au cégep.
On a remis à plus tard les mesures qui pourraient s’appliquer à l’immigration temporaire, qui fait figure d’éléphant dans la pièce. Une pièce qui a toutes les apparences d’un magasin de porcelaine, dont les chiffres de Statistique Canada relatifs à la langue ont démontré la fragilité.
Le phénomène est d’autant plus préoccupant que les travailleurs temporaires et les étudiants étrangers totalisent aujourd’hui près de 350 000 personnes, qui ne sont soumises à aucune exigence linguistique et dont le nombre ira en augmentant.
Un étudiant étranger inscrit dans un cégep ou une université francophone maîtrise généralement le français ou le fera rapidement, mais Le Devoir a fait récemment état des nombreux obstacles à la francisation que rencontrent ceux qui arrivent munis d’un permis de travailleur temporaire et qui s’installent souvent pour plusieurs années.
Il leur est notamment interdit de réduire leurs heures de travail pour se consacrer à l’apprentissage du français, et leur employeur n’est pas tenu d’y contribuer d’une manière ou d’une autre. S’il leur reste suffisamment d’énergie pour suivre des cours après leur journée de travail, souvent épuisante, ils n’ont pas droit à une allocation financière ni accès à un service de garde subventionné.
Le cahier de consultation rendu public jeudi en prévision de l’examen de la planification des seuils d’immigration pour les années 2024-2027, à la fin d’août, effleure à peine la question de la « capacité d’accueil » dont M. Legault a toujours dit qu’il fallait tenir compte quand on parle d’immigration, qu’il s’agisse de logement, d’éducation, de soins de santé, etc.
On y constate simplement que « déterminer la capacité d’accueil et d’intégration du Québec relève d’un exercice d’équilibre et d’une analyse quantitative et qualitative de plusieurs éléments ». Autrement dit, on n’a aucune idée précise de l’impact qu’aurait une augmentation du nombre de nouveaux arrivants sur un parc de logements déjà très insuffisant et des services surchargés.
Même en admettant qu’il soit possible de franciser et d’offrir des conditions d’accueil adéquates à tout le monde, les seuils envisagés ne suffiront jamais à prévenir l’accélération de la diminution du poids démographique et politique du Québec au sein de la fédération.
Il faudrait accueillir deux fois plus d’immigrants que le maximum proposé pour suivre le rythme de 500 000 par année prévu par le gouvernement Trudeau. M. Legault a beau avoir découvert les vertus de l’immigration, il serait impossible d’en intégrer autant.
Le Québec ne pourra pas échapper à la loi du nombre, qui a toujours été implacable dans l’histoire. Un jour ou l’autre, il devra se poser à nouveau la question de son avenir politique. De son avenir tout court.