Michael Sabia, l’homme des grands travaux

Lorsqu’il a devancé son départ de la direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), en février 2020 plutôt qu’en mars 2021, Michael Sabia renforçait alors le scénario voyant Sophie Brochu prendre le relais. Le voici aujourd’hui pressenti pour diriger Hydro-Québec et reprendre la barre délaissée par le départ précipité de Sophie Brochu. Petite anecdote karmique que tout cela, d’autant qu’à l’évidence, s’il existait une différence de visée et de vision entre Mme Brochu et Pierre Fitzgibbon, le passé de M. Sabia fait de lui l’homme du recentrage et des grands travaux qui cadre harmonieusement avec le programme de développement économique du ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie.

D’abord, le recentrage. Michael Sabia aura été celui qui a ramené la Caisse de dépôt à sa double mission comprenant un rôle de levier stratégique pour le développement de l’économie québécoise. Cette sensibilité avait été fortement diluée sous l’administration précédente, plutôt portée vers l’ingénierie financière et les produits dérivés avant que n’éclate la crise des subprimes.

Auparavant, à la direction de BCE, il s’est vu confier le mandat de repositionner l’entreprise autour de son métier de base. Sous la direction précédente, le géant des télécommunications venait de tenter l’aventure du multimédia, dans le contexte d’une stratégie de convergence menée en pleine bulle des valeurs technologiques. Sous sa présidence, les analystes déploraient son positionnement défensif face à la concurrence des câblodistributeurs et disaient de Bell qu’elle était devenue une « compagnie d’ingénieurs ». Mais le mandat a été réalisé.

Puis les grands travaux. Lors de ses 11 ans passés à la direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec, Michael Sabia a privilégié la voie vers l’économie dite réelle. Celle des placements privés, des infrastructures et des partenariats, ici comme dans son déploiement à l’international, et ce, dans une perspective de long terme. Le gestionnaire jouait la carte de sa masse critique pour accompagner les entreprises québécoises à l’international, et de sa notation triple A pour prendre le relais des gouvernements dans les projets d’infrastructures publiques ayant un but lucratif.

Le président et chef de la direction du gestionnaire de portefeuilles disait vouloir prioriser les investissements concrets, miser « sur des compagnies et des projets qui sont solidement ancrés dans l’économie réelle. Qui font de vrais profits ».

Pour lui, se réinventer tous les trois mois à la poursuite d’objectifs à court terme, réagir aux sautes d’humeur de la conjoncture économique et à la volatilité des cours boursiers n’était pas une solution viable. Le virage vers le long terme, vers la durabilité, avec un horizon d’investissement qui se mesure en années, « pas en trimestre ni en semestres », était devenu son mantra. Se défaire de la « court-termite » exigeait l’élargissement de l’expertise financière de la Caisse pour y greffer des spécialistes en production, des ingénieurs, des géologues, des experts en télécommunications et en transport…

Quelques ratés

Ce qui n’a pas été sans engendrer quelques ratés. M. Sabia a notamment pris en main le dossier du Réseau express métropolitain (REM). En mai 2022, le gouvernement Legault a dû écarter CDPQ Infra du projet de REM de l’Est afin d’en revoir la gouvernance, et abandonner le tronçon du centre-ville, fortement critiqué.

En 2020, la cimenterie gaspésienne de Port-Daniel, un projet marqué par d’importants dépassements de coûts, est passée sous le contrôle d’un conglomérat brésilien. Le chantier Ciment McInnis avait été annoncé en grande pompe par le gouvernement péquiste de Pauline Marois en 2014, pour ensuite recevoir le feu vert du gouvernement libéral. Il était largement appuyé, tant par la Caisse que par les fonds publics. Cet investissement public a été radié et la valeur du placement de la Caisse a fondu comme neige au soleil. McInnis reste l’un des plus grands émetteurs de gaz à effet de serre du Québec.

Mais pour l’ensemble de l’oeuvre, commentant son départ de la Caisse, Pierre Fitzgibbon disait de M. Sabia que « sa gestion rigoureuse comme p.-d.g. a permis d’amener la Caisse à un autre niveau […] Cela a toujours été un plaisir de travailler avec lui, autant au conseil d’administration de la CDPQ que comme ministre de l’Économie ». Une nouvelle occasion est sur le point de se présenter pour le ministre.

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