Un chum c’t’un chum

La première réaction du chef conservateur Pierre Poilievre n’a pas été de commenter le contenu du rapport de David Johnston sur l’ingérence chinoise, mais plutôt d’en discréditer l’auteur, l’« ami de la famille » Trudeau.

Il est vrai que ce rapport aurait très bien pu être rédigé au bureau du premier ministre. Il souligne bien certaines lacunes dans le traitement et la transmission des renseignements de sécurité, mais le premier ministre lui-même, ses adjoints et ses ministres n’auraient commis aucune faute.

Au contraire, le rapport loue leurs efforts pour protéger la démocratie canadienne contre les tentatives d’ingérence étrangère au cours des dernières années. Cette diligence risque d’en laisser plusieurs sceptiques, compte tenu de la procrastination à laquelle le gouvernement Trudeau nous a habitués.

S’il y a des coupables, aux yeux de M. Johnston, ils se trouvent plutôt du côté des employés du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) qui ont transmis des informations confidentielles aux médias, qui les auraient eux-mêmes montées en épingle en les sortant de leur contexte, sans parler de l’opposition qui a fait preuve d’une déplorable partisanerie.

Bref, tout le monde a fauté sauf le gouvernement. De la même façon qu’il n’y a pas de procès s’il n’y a pas de crime, il n’y a donc nul besoin d’une enquête publique, d’autant moins qu’elle laisserait la population sur sa faim, puisqu’il faudrait taire tout ce qui pourrait compromettre les sources d’information des agences de sécurité et le lien de confiance avec les alliés du Canada.

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En réalité, tout repose sur la crédibilité de M. Johnston, qui invite le lecteur du rapport à un véritable acte de foi. Son appréciation de chaque cas d’ingérence révélé par les médias est invariablement précédée de la même phrase : « J’ai évalué les renseignements relatifs à cette allégation et interrogé les représentants du SCRS, la [conseillère à la sécurité nationale et au renseignement (CSNR) Jody] Thomas, d’anciens CSNR, le personnel de sécurité de BCP [Bureau du Conseil privé] […], ainsi que le premier ministre et les ministres concernés. Je peux donc déclarer ce qui suit ».

Non seulement le rapport de M. Johnston donne l’absolution complète au premier ministre, il s’est aussi fait son complice en tendant un piège à ours dans lequel M. Poilievre de même que le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, ont immédiatement refusé de se jeter.

En proposant que les chefs des partis d’opposition soient habilités à prendre connaissance des informations confidentielles sur lesquelles il a basé ses conclusions, M. Johnston ne pouvait pas ignorer que cela les condamnerait au silence.

Mieux encore, il suggère à M. Trudeau une réplique à leur refus de se faire museler : « La question qui nous préoccupe est trop importante pour qu’une personne qui aspire à diriger le Canada maintienne intentionnellement un voile d’ignorance. »

Le premier ministre a beau jeu de dénoncer ceux qui se livrent à des attaques personnelles contre l’ancien gouverneur général parce qu’ils ne sont pas en mesure d’infirmer ses conclusions. Le problème est qu’ils seraient incapables d’expliquer pourquoi ils les contestent sans divulguer des informations qu’ils se seraient engagés à ne pas révéler.

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En réalité, l’opposition s’intéresse moins à l’ingérence chinoise elle-même qu’à la façon dont le gouvernement Trudeau y a réagi ou non. Or, M. Johnston a clairement indiqué que ce ne sera pas l’objet des audiences publiques qu’il propose de tenir au cours des prochains mois.

« Ces audiences ne serviront pas à déterminer qui savait quoi, ni les mesures que les personnes en question ont prises », peut-on lire dans la conclusion de son rapport. Il estime avoir répondu adéquatement à cette question et n’entend pas y revenir. Il veut plutôt se pencher sur la façon de mieux contrer l’ingérence étrangère dans l’avenir.

M. Johnston a raison sur un point : « Lorsque le gouvernement tient une enquête publique, c’est qu’il estime que la transparence nécessaire dans la sphère publique a davantage de poids que les politiques inefficaces des enquêtes publiques. »

Dans le cas de l’ingérence chinoise, une enquête publique n’aurait sans doute ni transparence ni efficacité. Peu importe, cela n’empêchera pas l’opposition de continuer à en réclamer une avec une insistance renouvelée, sachant parfaitement que le refus du gouvernement Trudeau sera interprété comme une preuve additionnelle de sa turpitude.

Le défi sera de maintenir l’intérêt de la population envers une question qui demeure loin de ses préoccupations quotidiennes. Il serait pour le moins étonnant que les partis d’opposition s’allient pour faire tomber le gouvernement. Les audiences publiques proposées par M. Johnston prendront fin en octobre prochain. À moins que de nouvelles fuites ramènent le sujet à l’avant-plan, l’opinion publique finira bien par passer à autre chose. Si c’est le cas, M. Trudeau pourra dire un gros merci à son ami Johnston.

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