Planter, c’est bon pour le moral
« Moi, j’ai planté une partie de mes laitues, et je le regrette maintenant avec le gel prévu cette nuit ! » Cette réponse est venue d’un ami, la semaine dernière, alors que nous parlions de nos futurs potagers estivaux respectifs. Je lui rappelais ce dicton qui dit de toujours attendre après la fête des patriotes pour planter ses légumes. Je l’avoue, je suis un agriculteur urbain, et ce, depuis des années. Au printemps, je compte les jours avant cette date butoir dans la hâte de planter une nouvelle production.
Je ne suis pas seul à pratiquer l’agriculture urbaine. Sur l’île, par exemple, plus de 58 % des Montréalais disent s’y adonner. Cela inclut la culture des plantes non comestibles. Parmi eux, 44 % ont des potagers où poussent des fruits et légumes. L’accès à un espace privé est d’autant plus important que 60 % jardinent sur leur terrain ou sur leur balcon. Nous pouvons facilement croire que, si les Montréalais avaient accès à plus d’espace, le pourcentage d’agriculteurs urbains serait encore plus important.
Les jardins communautaires et collectifs sont des solutions bien connues. Toutefois, on sous-estime tous les autres lieux inexploités sur le domaine public qui pourraient permettre à de très nombreuses personnes de s’adonner à l’agriculture en ville. Pensons aux bandes de verdure devant les résidences, aux terrains en friche ou encore aux espaces gazonnés inutilisés dans les nombreux parcs. Bref, des milliers de mètres carrés ont un potentiel agricole.
Pourtant, avant 1967, l’agriculture urbaine foisonnait à Montréal. Ses habitants venant des campagnes, ils avaient intégré des pratiques originales adaptées au milieu urbain. Imaginez, au beau milieu du boulevard Saint-Joseph, de petites parcelles de potagers ici et là. Imaginez encore, dans les cours arrière, des ruelles entièrement en production où se côtoyaient parfois des poules et des chèvres. Se préparant à recevoir le monde entier à Montréal, le maire Drapeau avait voulu faire de sa ville un lieu moderne et propre. C’est à ce moment que le glas a sonné pour l’agriculture en ville.
Nous avons dû attendre des décennies et l’influence d’un mouvement venant de l’Ouest américain pour tranquillement voir réapparaître certaines pratiques agricoles qui avaient disparu des villes. Aujourd’hui, il existe des congrès internationaux sur le sujet, et des villes de partout dans le monde partagent leurs expériences. Il existe même un laboratoire d’innovation dans le domaine à l’UQAM, l’AU /LAB, dirigé de main de maître par Éric Duchemin et Jean-Philippe Vermette.
D’ailleurs, le 17 mai dernier a eu lieu le lancement du Tiers-lieu à la Maison de projet de l’esplanade Cartier, en collaboration avec l’AU\LAB et Prével. Ce lieu unique consacré à l’innovation, à la formation et aux rencontres permettra de promouvoir et de favoriser l’émergence de nouvelles pratiques agricoles en milieu urbain en plus d’intégrer les impératifs de préservation de la biodiversité à l’intérieur de projets immobiliers.
Il a été démontré que la pratique du jardinage apporte de nombreux bienfaits à ceux qui ont la chance de se mettre les deux mains dans la terre. La diminution du stress et de l’angoisse en est un effet direct, tout comme l’accroissement du sentiment de bonheur. Toutefois, on oublie souvent que ceux qui propagent la nature en ville ont tendance à créer des liens avec leurs semblables. Ce sont aussi des créateurs de beauté. Combien de fois, en vous promenant dans les rues ou dans une ruelle, pouvez-vous vous arrêter pour sourire à la vue d’un potager ou d’un carré d’arbre aménagé ?
Cette activité urbaine apporte d’autres bienfaits non négligeables, comme la diminution des méfaits et l’amélioration du sentiment de sécurité. Oui, planter des vivaces et des légumes devant votre maison est un bon geste pour réduire les dépôts sauvages. Résultat : une rue plus propre et moins de dépenses pour ramasser les cochonneries laissées là illégalement. Le fait d’avoir une présence plus forte et plus active dans les cours et devant les maisons réduit aussi le vandalisme et d’autres méfaits. Ce qui rend les quartiers plus sécuritaires.
Au-delà de la pratique individuelle, il est possible d’envisager beaucoup plus. Rêvons de villes nourricières et d’autonomie alimentaire. Est-il utopique d’imaginer des villes qui atteindraient l’autosuffisance alimentaire ? Au Québec, la ville de L’Assomption oblige les nouveaux bâtiments industriels à aménager des serres agricoles sur leur toit. En France, une loi va dans le même sens pour l’ensemble du territoire. Une étude réalisée en 2021 a confirmé qu’il y avait un potentiel d’exploitation agricole de 36 hectares rien que sur les toits de la métropole québécoise. Partout on expérimente de nouvelles formes d’agriculture pour rendre les territoires urbains plus résilients face à la crise climatique. C’est une excellente nouvelle.
Toutes ces pratiques sont complémentaires et démontrent la nécessité d’innover en matière d’aménagement urbain. Alors que l’agriculture industrielle traditionnelle épuise les sols et utilise toujours des quantités astronomiques de pesticides, on voit poindre de nouvelles formes d’agriculture qui pourraient favoriser, en partie du moins, l’autonomie alimentaire des milieux urbains. Et ce n’est plus de l’utopie, on parle de projets bien réels ici. En attendant l’avènement de ces villes nourricières, je souhaite une bonne saison aux agriculteurs urbains. Et une bonne cohabitation avec nos amis les écureuils, autant que faire se peut !
P.-d.g. de l’Institut de la résilience et de l’innovation urbaine, professeur et chercheur associé, François William Croteau a été maire de Rosemont–La Petite-Patrie.