Finance vert pâle

La décarbonation des portefeuilles des institutions financières, tant celui des prêts que celui des investissements, reste un long chemin de Damas pour nombre d’entre elles.

Encore la semaine dernière, le président de BMO Groupe financier au Québec a dû interrompre son discours tenu devant les membres de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, vu l’interpellation d’écologistes ramenant Grégoire Baillargeon à la réalité de son institution. Il lui a été rappelé que la Banque de Montréal, pourtant signataire de l’alliance bancaire Net Zero, restait un important bailleur de fonds de l’industrie des énergies fossiles tant au niveau mondial que dans l’exploitation des sables bitumineux.

Le 21 avril, lorsque questionné sur les politiques environnementales de la Banque Nationale dans le cadre de l’assemblée des actionnaires, son président et chef de la direction, Laurent Ferreira, a répondu que la Banque n’entendait pas désinvestir complètement le secteur pétrolier et gazier, souhaitant accompagner les entreprises dans la décarbonation de leurs activités, a-t-on pu lire dans un texte de La Presse canadienne.

D’ailleurs, 5 banques canadiennes se trouvent parmi les 15 plus grands bailleurs de fonds de l’industrie des énergies fossiles dans le monde pour l’année 2022, selon les observations de l’étude Banking on Climate Chaos, publiée par un groupe d’écologistes. La Scotia occupe le 7e rang, suivie par la TD au 8e, la Banque de Montréal au 13e rang, et la CIBC au 14e, dans un classement où l’on voit la Banque Royale remporter la palme du plus grand bailleur de fonds du monde pour des projets de combustibles fossiles en 2022. De 2016 à 2022, leurs engagements dans l’industrie ont atteint plus de 860 milliards de dollars américains, selon la compilation de l’étude.

Et ce n’est sûrement pas terminé. Il est attendu que de nouveaux projets estimés à quelque 200 milliards de dollars voient le jour dans le secteur pétrolier et gazier canadien. À l’échelle mondiale, les dernières projections de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole tablent sur une demande mondiale de pétrole atteignant en moyenne 101,9 millions de barils par jour (bpj) en 2023, une hausse de 2,3 millions de bpj portée par les pays non membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). L’augmentation attendue par rapport à 2022 est de 4,2 % pour les pays non membres de l’OCDE, avec la Chine en tête (5,4 %), suivie de l’Inde (4,8 %), contre une progression de 0,2 % pour les pays de l’OCDE.

Un autre rapport — celui du groupe de réflexion Carbon Tracker —, publié le 5 mai, nomme 25 gestionnaires d’actif membres de l’initiative Net Zero Asset Managers (NZAM) qui détiennent des actions dans 15 des plus grandes sociétés pétrolières et gazières au monde inscrites en Bourse. Le groupe ajoute que les géants mondiaux de l’investissement BlackRock, Capital Group et Amundi ont « considérablement augmenté » leurs participations globales dans ces 15 sociétés l’an dernier. Il faut dire que l’on parle de sociétés pétrolières et gazières qui naviguent dans les surprofits depuis l’agression russe contre l’Ukraine.

« La plupart des 15 entreprises ont l’intention d’augmenter la production plutôt que de planifier des baisses, et toutes disposent d’un portefeuille important d’actifs de production potentiels qui ne seront probablement pas financièrement viables dans un avenir à faible émission de carbone », souligne le think tank, en référence au risque de se retrouver avec un actif échoué dans les portefeuilles.

Plus de 300 gestionnaires ayant 59 000 milliards de dollars américains d’actifs sous gestion ont signé avec NZAM, s’engageant à aligner tous leurs investissements sur des émissions nettes nulles d’ici 2050. Carbon Tracker a identifié les 20 principaux actionnaires de chacune de ces 15 principales sociétés pétrolières et gazières. Ils comprennent 90 gestionnaires d’actif, dont 25 sont membres de NZAM.

Et Carbon Tracker de préciser que bien que certains d’entre eux soutiennent que la détention d’actions dans ces sociétés leur permet de jouer un rôle actif en influençant le comportement de celles-ci face au réchauffement climatique, le rapport constate que les membres de NZAM ne votent pas beaucoup plus souvent pour les résolutions relatives à la transition énergétique que les non-membres.

Petit éveil chez le petit investisseur

 

Du côté du petit investisseur, la sensibilité se veut plus ressentie, mais encore chétive. Les données de l’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC) indiquaient qu’à la fin de 2022, on comptait 3409 fonds offerts chez les fonds traditionnels et 1056 dans la famille des fonds négociés en Bourse (FNB), répartis entre 42 sociétés émettrices. En chiffres nets, ces nombres ont augmenté de 107 et de 90 fonds respectivement. « Près du tiers des nouveaux fonds lancés au cours de l’année comportaient des objectifs et des stratégies d’investissement responsable », ajoute l’IFIC. Ce fut le cas pour près de la moitié des nouveaux FNB.

Cet attrait pour l’investissement répondant aux critères environnementaux, sociaux et de gouvernance reste, aussi, marginal. Au 31 décembre dernier, l’actif des fonds communs d’investissement dit responsable totalisait 1,9 % de l’actif total des fonds communs et 3,2 % de celui des FNB. Toutefois, « malgré le pourcentage relativement faible, les ventes nettes de fonds d’investissement responsable ont considérablement augmenté ces trois dernières années. En 2022, ils représentaient l’un des rares segments du secteur des fonds communs de placement à afficher une croissance », souligne l’IFIC.

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