Des enseignants vous parlent de leur métier (1)

Les négociations entre les enseignants et le gouvernement ont débuté dans le monde de l’éducation. La situation n’y est, comme on sait, rien de moins que tragique, notamment en raison du manque criant de personnel, des départs à la retraite et des désertions professionnelles.

Les deux plus récents épisodes de la saga qui commence ont vu l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal approuver à plus de 98 % le recours à la grève pour le début de l’année scolaire 2023-2024 et le gouvernement offrir une prime de 12 000 $ aux quelque 7000 enseignants admissibles à la retraite s’ils acceptent de rester en poste à temps plein l’an prochain.

J’ai eu l’idée de demander à quatre connaissances qui enseignent — deux au primaire, deux au secondaire — de me nommer, sans parler des salaires, une chose, une réalité, qui rend particulièrement difficile l’exercice du métier et, si possible, de me dire ce qui pourrait être fait à ce propos pour rendre la profession moins pénible, plus agréable.

Je n’ai pas été déçu. On parle de choses plutôt bien connues dans le milieu, mais dont on n’entend guère parler si on n’y est pas… Voici pour commencer les deux enseignants du secondaire.

Le temps en dehors de la classe

 

Stéphane Angers enseigne les maths au secondaire. Il a choisi de me parler de la lourdeur de la tâche… à l’extérieur de la classe. Les élèves, me dit-il pour commencer, ont de plus en plus de difficulté à se concentrer sur une période prolongée — et il n’est pas le seul à le dire.

Pour cette raison, il faut faire des planifications de cours de plus en plus stimulantes. « Fini le temps où l’enseignant demandait à ses élèves de faire les exercices des pages 22 à 30 dans leur cahier ! » Concrètement ? M. Angers me dit qu’un enseignant comme lui (et bien d’autres) travaillera souvent deux heures à la maison pour planifier un cours de 75 minutes.

Au chapitre de la lourdeur de la tâche en dehors de la classe, il me parle aussi de la corvée des corrections d’examen, cela, on aurait deviné, « en raison de la piètre qualité de la langue et de la calligraphie ».

Il y a aussi, toujours sur ce même sujet, les nombreuses réunions imposées par les directions d’école, les journées pédagogiques remplies de formations, les rencontres avec des éducateurs spécialisés pour parler de tous les cas d’élèves de plus en plus difficiles, sans oublier tous les courriels de parents auxquels on doit bien répondre…

Pistes de solution ? M. Angers suggère que les jeunes enseignants devraient être mieux encadrés — avec un système de mentorat, par exemple. Il pense aussi qu’il faudrait maximiser l’autonomie pédagogique, passer moins de temps en réunion et en passer plus avec les collègues qui enseignent la même matière et avec lesquels on peut échanger des idées et des manières de faire. 

Programmes et évaluations

 

Luc Papineau enseigne lui aussi au secondaire, dans son cas le français. Vous le connaissez sans doute par un ouvrage, Le grand mensonge de l’éducation, qu’il a cosigné en 2006 avec Luc Germain et Benoit Séguin, et par ses actuelles interventions à la radio et dans les journaux. Il est un enseignant d’expérience qui me dit en avoir « vu et connu de toutes les couleurs ».

Pour répondre à ma question, il pointe la lourdeur des programmes et le laxisme des évaluations. En français, au secondaire, me donne-t-il en exemple, bien des collègues ont l’impression « qu’ils doivent former à la fois des scripteurs, des grammairiens, des linguistes, des critiques littéraires et de contenu médiatique, des experts en production audiovisuelle et j’en passe ».

En même temps, ce programme, m’assure-t-il — et c’est le deuxième volet de sa réponse — , les enseignants « ont appris à ne plus le respecter intégralement tellement, chaque année, ils accueillent dans leur classe des élèves qui ont réussi ou non leur année précédente et qui ne maîtrisent pas les acquis nécessaires à leur réussite ». Que font alors les enseignants ? Eh bien, naïvement, « ils procèdent à une interminable mise à niveau qui ne servira souvent à rien parce que les évaluations auxquelles seront soumises les jeunes par la suite sont trop permissives ».

M. Papineau compare en ce sens le travail d’enseignant devenu débilitant au mythe de Sisyphe, et me dit que les dérives d’une gestion axée sur les résultats (il invoque la fameuse loi de Goodhart) jointes à la faiblesse des élèves qu’on nous confie font « qu’on en est réduits parfois à bêtement enseigner pour évaluer ».

Pistes de solution ? M. Papineau voudrait qu’on remette la maîtrise de la langue au coeur de notre enseignement et de nos évaluations. « Il est anormal qu’un élève puisse réussir son cours de français en écrivant une faute par mot dans un texte, comme c’est le cas actuellement. »

Docteur en philosophie, docteur en éducation et chroniqueur, Normand Baillargeon a écrit, dirigé ou traduit et édité plus de soixante-dix ouvrages.

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