Les perroquets de l’Assemblée nationale
Au moment de quitter la politique, en juin 2022, l’ex-députée d’Iberville Claire Samson avait créé un certain émoi parmi les élus à l’Assemblée nationale en qualifiant de « plantes vertes » les députés d’arrière-ban, qui avaient le choix entre répéter les « lignes » du gouvernement ou se la fermer. De toute sa vie, elle n’avait jamais travaillé aussi peu que durant ses années passées au Parlement, disait-elle, y compris durant sa jeunesse, quand elle était commise chez Miracle Mart ou serveuse chez Da Giovanni.
Dans une entrevue accordée à Radio-Canada, elle avait expliqué le rôle de « plante verte » — ou de perroquet — qu’on lui faisait jouer au sein de l’équipe caquiste.
En prévision de l’étude en commission parlementaire du projet de loi sur les proches aidants présenté par la ministre responsable des Aînés, Marguerite Blais, elle avait bien fait ses devoirs et avait des questions précises à lui poser. « Une fille arrive, je ne la connais même pas, elle me tend un papier et me glisse à l’oreille : “Voici les questions que vous devez poser à la ministre en commission parlementaire.” Moi, comme législateur, je trouve ça insultant, cette pantomime de la joute politique », a-t-elle raconté.
« L’équipe de communications nous donne nos lignes. Ils nous disent ce qu’il faut dire aux journalistes et nous font répéter comme on fait répéter du texte à des comédiens. » Elle trouvait cela d’autant plus enrageant qu’elle avait oeuvré dans les relations de presse durant une bonne partie de sa vie professionnelle.
Plusieurs avaient mis ses propos sur le compte de sa frustration d’avoir été écartée du Conseil des ministres après la victoire caquiste d’octobre 2018, alors qu’elle faisait partie de la cuvée de 2014 et qu’elle avait produit un rapport que François Legault présentait comme la politique linguistique de son gouvernement.
Élue sous les couleurs de la CAQ dans Charlevoix–Côte-de-Beaupré en 2018 après avoir agi comme attachée politique au bureau de M. Legault, Émilie Foster n’avait peut-être pas les mêmes attentes que Mme Samson, mais elle n’a pas sollicité un deuxième mandat. Elle aussi a manifestement trouvé son expérience parlementaire éprouvante.
Détentrice d’un doctorat en communication politique, elle est aujourd’hui professeure associée à l’Université Carleton. Dans un texte publié dans la revue Options politiques, elle fait les mêmes constats que Mme Samson — en utilisant simplement un vocabulaire plus universitaire.
« Les partis politiques sont devenus des machines à centraliser le pouvoir et à contrôler le message. Imprégnés par une logique de marketing, ils se vendent comme un produit et sont en campagne permanente. Ce phénomène n’est pas nouveau, mais il a un revers. Le simple député, écrasé par le contrôle des communications et la ligne de parti, perd de plus en plus de pouvoirs dans notre démocratie », écrit-elle.
Un simple député a une marge de manoeuvre bien plus grande dans l’opposition. Le premier ministre Legault a beau assurer que les députés caquistes sont totalement libres de dire tout ce qu’ils pensent dans le huis clos du caucus, Mme Foster constate que cette liberté est freinée par la crainte d’être « jugés et catalogués lorsqu’ils expriment des opinions contraires aux messages clés mis en avant publiquement par le gouvernement ».
Il est vrai qu’être étiqueté « député à problème » diminue considérablement les chances d’accéder au Conseil des ministres, de se voir octroyer un poste auquel est attachée une intéressante prime, ou même de faire avancer un projet dans sa circonscription.
On disserte sur la revalorisation de la fonction de député depuis des décennies. D’une réforme parlementaire à l’autre, on cherche sans grand succès les moyens de lui faire jouer un rôle plus important. Il semble même y avoir régression.
Fraîchement élu sous les couleurs de l’Union nationale, en 1966, Marcel Masse avait déclaré : « Le député n’est plus l’homme occupé et prestigieux qu’il a déjà été. À mon avis, le député n’est pas inutile, il est mal utilisé. »
Cinquante plus tard, le député libéral de Fabre et ancien bâtonnier du Québec, Gilles Ouimet, remettait sa démission 16 mois après sa réélection de 2014. « Les députés du gouvernement ont un rôle de figurant. […] Il est clair pour moi qu’il faut modifier l’emprise de l’exécutif sur le législatif », avait-il déclaré.
Comme tous ses prédécesseurs, M. Legault avait assuré, au lendemain des élections du 3 octobre dernier, qu’il entendait poursuivre le travail « afin d’améliorer le rôle de chacun des 125 députés ». On verra.
Le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime, l’a accusé d’avoir « acheté » son vote de confiance de 98,6 % en offrant aux députés une hausse de salaire de 30 000 $. En réalité, ce n’est peut-être qu’une façon d’adoucir leur frustration de devoir jouer les perroquets. C’est quand même payé un peu cher