Les défis de la Loi sur la diffusion en ligne

La Loi sur la diffusion continue en ligne a été finalement sanctionnée. Elle vient mettre à niveau la Loi sur la radiodiffusion afin d’assurer un traitement équitable pour toutes les entreprises qui diffusent des émissions aux Canadiens. Avec cette mise à jour, la législation canadienne sur la radiodiffusion s’applique aux entreprises canadiennes ou étrangères qui proposent des émissions sonores ou audiovisuelles au public canadien.

La Loi concerne les activités de diffusion d’émissions à des fins lucratives par tout moyen. C’est l’activité de diffuser des émissions sur Internet ou dans un autre environnement qui est soumise à des règles. Comme l’explique le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) dans un document destiné à dégonfler certaines croyances au sujet de cette loi, ce sont les plateformes en ligne qui sont visées, non les individus qui mettent en ligne des contenus.

La Loi ne vise pas à régir les moindres usages des dispositifs capables de produire des sons et des images. Elle concerne les activités qui ont un effet notable sur la disponibilité effective d’émissions émanant de la créativité canadienne. Le CRTC dispose d’ailleurs du pouvoir d’exempter de l’application des exigences de la loi les entreprises dont l’activité ne pose pas de problèmes particuliers pour l’accomplissement des objectifs de la politique de radiodiffusion énoncée dans la loi. C’est pourquoi les allégations selon lesquelles la loi pourrait régir les influenceurs qui ont une chaîne sur YouTube relèvent de la fabulation.

Depuis près d’un siècle, notre réglementation des médias électroniques vise à remédier à la rareté des émissions canadiennes. C’est pour assurer de vrais choix qu’elle diffère de celle qui prévaut aux États-Unis. La loi sur la diffusion en ligne s’inscrit dans la continuité des mesures qui ont à ce jour permis d’avoir un système médiatique proposant l’un des plus vastes choix d’émissions à l’intention de publics diversifiés. Pour remédier à la carence d’émissions canadiennes capables de rivaliser avec les productions américaines, les autorités ont mis en place des mesures afin d’assurer qu’une partie des revenus générés par la consommation de contenus soit réinvestie dans la production d’émissions canadiennes. Cette approche est désormais étendue aux plateformes en ligne.

L’énoncé de la politique canadienne de radiodiffusion enchâssé dans la Loi sur la radiodiffusion affirme que les radiodiffusions de langues française et anglaise diffèrent quant à leurs conditions d’exploitation et reconnaît le contexte minoritaire du français en Amérique du Nord. On affirme la nécessité de refléter la diversité canadienne dans les choix d’émissions.

On peut y lire que le système de radiodiffusion doit par sa programmation et par les chances que son fonctionnement offre en matière d’emploi, répondre aux besoins et aux intérêts de l’ensemble des Canadiens — notamment ceux qui sont issus des communautés racisées ou qui représentent la diversité par leurs antécédents ethnoculturels, leur statut socio-économique, leurs capacités et handicaps, leur orientation sexuelle, leur identité ou expression de genre et leur âge — et refléter leur condition et leurs aspirations, notamment l’égalité sur le plan des droits, la dualité linguistique et le caractère multiculturel et multiracial de la société canadienne ainsi que la place particulière qu’y occupent les peuples autochtones.

De plus, la loi impose de favoriser l’épanouissement des minorités et d’appuyer leur développement, ainsi que de promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne.

Pour couper court aux allégations selon lesquelles cette loi permettrait au gouvernement de décider des émissions que les individus peuvent regarder, il faut rappeler que son article 2 (3) prévoit qu’elle doit être appliquée en respectant la liberté d’expression et l’indépendance, en matière de journalisme, de création et de programmation, dont jouissent les entreprises de radiodiffusion et les créateurs.

Pour concrétiser les énoncés généraux de la Loi, le CRTC est doté de pouvoirs afin d’exiger non seulement le réinvestissement dans les productions canadiennes, mais aussi la mise en place de mesures pour assurer que les émissions canadiennes soient visibles et découvrables dans les environnements connectés. La mise en place de ces mesures fera l’objet de consultations auprès de tous les intéressés. Il faudra donc porter attention aux consultations publiques que le CRTC va entreprendre au cours des prochains mois.

Pour procurer les encadrements réglementaires pertinents à des situations qui changent rapidement, il faut des règles suffisamment souples pour encadrer des activités aux évolutions parfois imprévisibles. Mais il faut surtout un CRTC beaucoup plus proactif, enclin à se donner les moyens d’anticiper les changements afin de ne pas se trouver dépassé lorsque les activités visées emprunteront des vecteurs aujourd’hui marginaux ou inconnus. Le régulateur doit anticiper les tendances et intervenir lorsque les changements des pratiques, des technologies ou des marchés engendrent des déséquilibres. Voilà le redoutable défi posé par cette loi sur la diffusion en ligne.

Professeur, Pierre Trudel enseigne le droit des médias et des technologies de l’information à l’Université de Montréal.

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