Décrocher en 3e année

Ça s’est gâté dès la troisième année. La prof nous a glissé que notre fils avait un «profil de décrocheur».
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Ça s’est gâté dès la troisième année. La prof nous a glissé que notre fils avait un «profil de décrocheur».

Ça partait pourtant bien. À 5 ans, il était sélectionné à l’École internationale du quartier, une école primaire sélective et publique qui trie ses « éléments » en se basant sur des tests d’aptitudes. Certains parents préparaient déjà leurs gamins avec des examens et des tuteurs afin d’être acceptés en maternelle.

Ça s’est gâté dès la troisième année. La prof nous a glissé que notre fils avait un « profil de décrocheur ». La raison ? Non, pas la drogue ni la délinquance. En troisième année, tu as 8 ou 9 ans… Non, ses faibles notes en lecture étaient « le » signe précurseur d’un avenir inquiétant qui engendre des anarchistes. Nous étions estomaqués. De toute façon, dès la quatrième année, les élèves intègrent la notion de compétition, de performance, d’évaluations, d’examens et de notes. Les examens d’entrée au secondaire approchent ; il faut se qualifier.

On dit encore les élèves « forts » et les élèves « faibles », même dans les écoles évoluées où la pédagogie est un mélange de collaboration, de psychologie bienveillante qui a fait ses preuves avec les dauphins et de mentorat constructif. Faible… ça s’imprime dans ton cerveau à vie. Après, tu dois aller te reconstruire au gym tous les jours en poussant de la fonte. Pour devenir « fort ».

Mais je m’égare. En troisième année, nous étions déjà aux abois. Quoi ? ! Notre fils, digne héritier de la méritocratie (j’ironise), dont un des grands-pères fut ministre de l’Éducation, était déjà stigmatisé ? « Notre » parcours scolaire fut une longue colite ulcéreuse dont nous nous remettons à peine. Je vous fais grâce des détails. Je n’ai pas trop épilogué sur le système d’éducation tout du long ; j’attendais qu’il en sorte.

Notre système d’éducation est le reflet de ces classes sociales. C’est un échec — j’appellerais ça même une trahison — de ce que nous avons voulu.

Il a abandonné au cégep, lassé, usé, anxieux, démotivé, dépossédé d’un élan vital : la curiosité. Et avec la ferme certitude qu’il ne valait pas un clou, la fameuse estime de soi. Merci l’école. Ils sont à peu près 30 % comme lui, qui ne terminent pas leur cégep. Les amis de mon fils décrochent les uns et les unes après les autres.

Ah ! J’oubliais ! Comme les profs sont à boutte et surchargés (vous avez entendu la prof hurlante à l’école des Grands-Vents, récemment ?), on nous suggère fortement de médicamenter nos enfants ; les profs le sont déjà, ça ne suffit pas. Environ 40 % des élèves de la classe de 5e de mon fils battaient des cils sous effets spéciaux (le prof a vendu la mèche devant nous). Et on nous incitait à faire pareil. Pour obtenir de meilleures notes, bien sûr. Ou pour lui enfiler une camisole chimique, je n’ai jamais trop su.

Au secondaire, c’est pire

Le secondaire n’a fait qu’enfoncer le clou. Notre fils avait déjà décroché dans sa tête. Le basket l’a aidé. Nous avions choisi l’école pour ça, option sport, envoèye la dépense, nous le pouvions. Nous espérions que ça le sauverait. Pas le privé, le ballon. Il était bon, un des « espoirs » de l’équipe. Les coachs le voyaient en sport universitaire. Ils ont poussé. Mon fils aimait le ballon, mais pas la pression. Il a craqué : crises d’anxiété. Terminé le basket à 14 ans. Tant pis pour la NBA…

L’école l’avait une fois de plus soumis à sa loi de la performance. Pas du jeu — le meilleur moyen d’apprendre — non, des points. Être un gagnant pour pouvoir écraser les autres ensuite.

Je passe par-dessus — sans accuser les profs qui sont bien impuissants —, un enseignement basé sur le bourrage de crâne, aussi inutile que débile. Mémoriser les parties de l’oeil en science, ça rime à quoi ? Au XXIe siècle, avec Google au bout du doigt ? Et leur faire lire Le comte de Monte-Cristo ? Bonne chance… Et après ça on s’étonne que 75 % des jeunes qui décrochent disent s’ennuyer à l’école… (bit.ly/3LQ6uyp).

J’ai jasé de performance avec le réalisateur du récent et excellent documentaire L’école autrement (Télé-Québec). Érik Cimon a trimé trois ans et demi sur le sujet, interviewé 80 personnes dans le système et propose de véritables solutions avancées par le milieu, pas par des fonctionnaires qui envoient leurs enfants au privé. Quatre profs — pour des dizaines de refus — ont courageusement accepté de parler à la caméra.

En tant qu’élève, je considère que l’école m’a volé mon adolescence. J’étais premier de la classe, hein ? Je m’y suis ennuyé. Je n’ai pas été heureux. 

La réforme du ministre qui pleure sur le troisième lien au lieu de brailler sur notre système d’éducation ? Le réalisateur n’y croit pas : « Ça n’empêchera pas les jeunes de décrocher. » Les enseignants non plus d’ailleurs, dont près de la moitié abandonnent au bac et de ceux qui terminent, 50 % ne tiendront pas en classe cinq ans.

Dans le film, on remet en question les évaluations : « Faut que tu aies une bonne note, sinon tu ne pourras pas aller à la bonne école, et tu n’auras pas la bonne job, me souligne Érik Cimon. Dès la quatrième année, les enfants l’ont intégré. Dans le sport-études, c’est pareil, si tu es bon, tu vas faire du cash. L’école est le reflet du système capitaliste et ça rend les gens malheureux. Les profs décrochent pour les mêmes raisons que les jeunes. » La maudite performance.

L’école éteignoir, un principe d’excellence

Le professeur Sylvain Larose (je vous en ai déjà parlé ici : bit.ly/3NW03fU) fait partie du documentaire L’école autrement. Il me souligne que l’école est devenue une machine à diplômer, pas à apprendre à réfléchir. « Depuis 10-20 ans, tout est tourné vers la réussite, pas l’apprentissage. Je ne suis pas étonné que des étudiants brillants décrochent. On n’est pas là pour l’élève, on est là pour servir l’État. On veut de bons élèves qui vont faire de bons travailleurs qui vont enrichir des gens qui sont déjà riches. C’est l’anarchiste qui parle… »

En plus d’enseigner l’histoire au secondaire et d’être anarchiste, Sylvain enseigne la didactique en univers social à l’Université de Montréal. Il me mentionne que seulement 25 % de ses étudiants ont ce qu’il faut pour devenir prof. L’enseignement est un plan B ou C pour la plupart. À cause des salaires et des conditions. Mais le plus déprimant s’en vient : « Y’a des études qui montrent que la créativité chez les jeunes est énorme à la maternelle et plus ça avance, plus elle baisse, me mentionne Sylvain. On normalise le jeune. Il rentre avec une créativité hallucinante, il ressort éteint. On décroche de l’école parce qu’elle est ennuyeuse. Elle n’est pas signifiante. C’est une école qui gave l’élève, au lieu d’un endroit qui alimente sa curiosité naturelle. »

Ce ne sont pas les plus créatifs qui terminent ce parcours à obstacles. Il est là le drame de notre système d’éducation. Et de notre société entière.

cherejoblo@ledevoir.com


Adoré cette vidéo de François Bégaudeau, prof, écrivain, réalisateur et comédien, qui balance ici ce qu’il pense du système scolaire en général. Même s’il parle de la France, on s’y retrouve, notamment au chapitre des élèves « qui viennent à l’école emmagasiner, à vie, le sentiment qu’ils sont les médiocres qu’on a toujours prétendu qu’ils étaient ». Comme le dit une de mes amies, ex-prof d’université au Québec et Française : « L’éducation, la plus belle entreprise de propagande douce. » Bégaudeau parle d’arme de destruction psychologique : bit.ly/3MgRkDC

Aimé ce texte publié la semaine dernière qui parle de duplessisme et de la réforme Drainville. « Le mantra de la réussite scolaire, l’obsession des résultats chiffrés et de la diplomation, ne crée qu’anxiété chez les élèves. Même chose chez le corps enseignant, la nécessité d’enseigner et de ne faire apprendre que ce qui compte pour l’examen — et de ce fait oriente le curriculum — crée l’anxiété. »

Cosigné par une trentaine de personnes du milieu de l’éducation : bit.ly/3M02uvw

Visionné deux fois L’école autrement. Parmi les solutions : abolir le système à trois vitesses (privé, public et programmes particuliers), revoir les salaires des profs (pour attirer les meilleurs), couper le financement au privé (15 % des jeunes du public iront à l’université contre 60 % au privé), lâcher les évaluations.

« Nous sommes revenus en 2023 à la situation de 1960. On n’a pas avancé, on recule », estime le sociologue Guy Rocher, membre de la commission Parent en 1961.

« Il y a une volonté de ne pas faire grand-chose. Pas trop vite en tout cas. Si on change trop, on perd nos privilèges. Les gens qui se hissent dans une hiérarchie sociale ont bénéficié de ces privilèges-là. Pourquoi remettre en question un système qui a fonctionné pour soi ou sa famille ? » dit Justine Castonguay-Payant, chercheuse en sciences de l’éducation. Disponible gratuitement ici et à voir impérativement : telequebec.tv/documentaire/l-ecole-autrement

JoBlog | Mommy pour la vie

Je m’en voudrais de ne pas souligner la fête des Mères, particulièrement les mamans des familles monoparentales qui font leur maximum, même si l’amour ne suffit pas toujours. J’ai revu le film Mommy de Xavier Dolan récemment, et je me disais que cette Diane (brillante Anne Dorval) existe : « M’a te faire l’école à maison le temps que tu repognes le beat de l’école normale », dit-elle à son ado ingérable. Même Kyla (superbe Suzanne Clément), sa voisine enseignante en burn-out, pète les plombs devant la tâche. Offrez des fleurs dimanche à toutes ces Diane et Kyla. Elles en ont besoin.

Sur Netflix ou Apple TV. https://bit.ly/41k5acU

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.



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