Appauvrissement minimum
Le passage du salaire minimum au-dessus des 15 $ l’heure au Québec a capté l’attention. D’autant que cette augmentation de 7 % vient masquer un appauvrissement plus large attendu en 2023.
D’abord les bonnes notes. Dans son analyse 2023, la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke fait ressortir qu’avec la hausse de 1 $ du taux général, le Québec maintient son positionnement, à savoir qu’il se situe en 4e position parmi les provinces pour ce qui est du salaire minimum horaire et qu’il continue d’afficher le meilleur taux de couverture des besoins de base. Cette année, le Québec (107 %) et le Nouveau-Brunswick (101 %) sont les deux seuls endroits où ce taux dépasse 100 %. Le Québec doit cette première place au coût moindre du panier de produits et services de base à Montréal, tel que défini par la Mesure du panier de consommation (MPC), prend-on toutefois soin de préciser.
De plus, les proportions de la hausse du salaire minimum conservées par les ménages sont très élevées, allant de 88 % à 187 %, dont 91 % pour une personne seule. La hausse du salaire minimum, mais aussi et surtout la baisse d’impôt du Québec, la bonification du crédit solidarité et une forte indexation des régimes fiscaux du Québec et du fédéral « ont fait augmenter le revenu disponible de tous les ménages considérés » dans l’analyse. Sans compter les prestations liées aux mesures visant à atténuer les effets de la forte augmentation du coût de la vie, exclues ici parce qu’il s’agit de mesures ponctuelles.
Les auteurs de l’analyse tiennent donc à souligner que « l’exercice effectué ici ne consiste pas à se prononcer sur le niveau optimal du salaire minimum, et n’indique pas que la situation actuelle est idéale ».
Revenu viable
Sur cet aspect, l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) oppose au MPC, qui établit le seuil officiel de la pauvreté au Canada, son calcul du revenu viable. On parle ici d’un revenu décent permettant de combler des besoins de base élargis et de dégager une marge de manoeuvre pour améliorer sa situation. D’un revenu viable faisant la démarcation entre la pauvreté et son absence, qui tient compte notamment de la présence de services publics (principalement un réseau de transport en commun), des transferts et crédits gouvernementaux et du coût de la vie, lequel est différent d’une localité à une autre.
Cette année encore, malgré la hausse de 7 % du salaire minimum, « une personne seule habitant à Montréal et travaillant à temps plein au salaire minimum parvient tout juste à couvrir ses besoins de base et touche un revenu qui équivaut à seulement 78 % du revenu viable. Pour faire en sorte que “travailler” ne rime plus avec “pauvreté”, il faudrait un salaire minimum à au moins 20 $ l’heure », dit l’IRIS.
La hausse du coût de la vie fait en sorte que « le revenu nécessaire pour atteindre un niveau de vie exempt de pauvreté a augmenté plus rapidement que l’inflation cette année ». C’est le cas pour 15 des 21 situations examinées. Alors que le taux d’inflation officiel est de 6,7 % au Québec en 2022, le panier de biens et services qui sert à calculer le revenu viable d’un ménage composé de deux adultes et de deux enfants en bas âge a augmenté de 8 % à 12 % selon les localités étudiées, ajoute l’Institut.
Sur une base annuelle moyenne, l’indice des prix à la consommation (IPC) a augmenté de 6,8 % (de 6,7 % au Québec) en 2022, nous dit Statistique Canada. Or les prix des nécessités courantes, plus lourdement ressentis lorsque l’on descend dans l’échelle des revenus, ont enregistré les plus fortes hausses l’an dernier. Soit une augmentation de 10,6 % dans les transports, de 8,9 % pour le prix moyen des aliments (de 9,8 % pour le prix des aliments achetés en magasin) et de 6,9 % dans le logement.
En 2023, le revenu viable calculé par l’IRIS pour une personne seule varie entre 27 047 $ (Saguenay) et 37 822 $ (Sept-Îles). À Montréal, il est de 32 252 $ pour une personne seule, en hausse de 2676 $ (9 %) par rapport à 2022, alors qu’il s’élève à 71 161 $ pour deux adultes avec deux enfants en CPE, en hausse de 6129 $ (9,4 %) par rapport à 2022.
Pauvreté et faillites en hausse
Les données de l’Institut de la statistique du Québec indiquent qu’en 2020, avant les distorsions provoquées par la pandémie et la poussée de fièvre inflationniste, 45,9 % des ménages vivaient avec un revenu après impôt de 59 999 $ ou moins.Des données encore plus sensibles comptabilisées en février 2023 indiquent que les prestations annuelles offertes par les programmes d’aide financière de dernier recours peuvent varier entre 9240 $ et 29 544 $ pour la famille dite de référence, selon le statut du bénéficiaire.
Dans un sens plus large et à l’échelle canadienne, Statistique Canada prévient que les changements observés dans l’IPC et le revenu disponible « laissent penser que le taux de pauvreté reviendra en 2022 à un niveau proche de sa marque de 10,3 % enregistrée avant la pandémie ». Il était de 7,4 % en 2021.
Le tout est à mettre dans une perspective d’augmentation des prêts en souffrance et des faillites en raison de la récession imminente et d’un taux de chômage à l’échelle canadienne appelé à passer de 5 % actuellement à 6,6 % d’ici le premier trimestre de 2024. On évoque une progression de plus du tiers des défauts de paiement sur les prêts hypothécaires par rapport aux niveaux actuels dans la prochaine année. Et d’un saut similaire du taux d’insolvabilité des consommateurs au cours des trois prochaines années, pour retourner aux niveaux d’avant la pandémie, avertit Robert Hogue, économiste en chef adjoint de la Banque Royale.
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