Bonne journée de la liberté de presse!

C’est le 3 mai qu’est soulignée cette année la Journée mondiale de la liberté de la presse. Depuis trois décennies, les Nations unies profitent de cette journée pour souligner les progrès et les reculs de la liberté d’expression. C’est un rappel que la liberté d’expression et de la presse est la clef de voûte de tous les droits de la personne.

Une presse indépendante permet de mettre au jour les carences des décisions des autorités publiques ou des acteurs privés. Difficile de faire valoir les droits à l’égalité ou les droits fondamentaux comme celui d’être jugé selon des normes rigoureuses devant un juge impartial si on est privé du droit de dire, d’écrire ou de montrer. Il est donc essentiel de promouvoir la capacité des médias d’informer sur les iniquités, les injustices ou les escroqueries.

Internet facilite la transmission de l’information, mais engendre des situations qui fragilisent les médias. Le déplacement massif de revenus publicitaires vers les plateformes en ligne s’est accompagné d’une recrudescence de sites proposant des contenus principalement destinés à capter l’attention des individus, notamment en les confortant dans leurs croyances. Cela fragilise les médias fondés sur la production de contenus validés selon des méthodes journalistiques éprouvées. Un phénomène propice au foisonnement de « fausses nouvelles ».

L’étendue de la liberté d’expression demeure une question chaudement discutée. Où s’arrête la liberté de dire et de montrer ? Certains délimitent la portée de la liberté d’expression à partir de leurs conceptions morales ou éthiques : ce qui heurte les valeurs auxquelles ils adhèrent doit être censuré. D’autres négligent de considérer que la liberté d’expression est sujette à des limites validées par les juges.

Une liberté individuelle et collective

Le juriste Xavier Bioy explique que « la liberté d’expression occupe une place à part dans le paysage des libertés, car son rôle ne se limite pas à conférer des prérogatives à l’individu. Il s’agit aussi […] d’un principe général qui conditionne l’existence de la démocratie et de l’ensemble des droits fondamentaux. Le droit de s’exprimer et le droit de recevoir de l’information conditionnent toute vie sociale et politique ». Vu sous cet angle, le principe de la liberté d’expression est le fil conducteur des lois et autres mesures destinées à assurer non seulement la libre circulation des idées, mais aussi la protection des possibilités effectives de s’exprimer et d’être informé.

La liberté d’expression est garantie aussi bien par la Charte canadienne que par la Charte québécoise des droits et libertés. Cela fait en sorte que les lois ne peuvent imposer que des limites jugées raisonnables et justifiables dans une société libre et démocratique. Les préceptes moraux ou des visions éthiques ne peuvent en eux-mêmes limiter les libertés expressives. Mais ils peuvent procurer des arguments pour convaincre du caractère raisonnable des limites.

Ce sont les tribunaux qui, en dernière instance, déterminent si une loi limitant la liberté d’expression constitue une limite raisonnable et justifiable. Les tribunaux ont déterminé que toute activité expressive est a priori protégée par la liberté d’expression. Il peut s’agir de la diffusion d’images, de musique, de textes ou de la communication de messages sur une voie publique, de manifestations ou d’autres gestes visant à transmettre un message. Mais les gestes violents ne sont pas des activités expressives protégées. De plus, une loi qui limite la faculté de s’exprimer doit être proportionnée et suffisamment délimitée pour répondre à des impératifs démontrables.

Des réflexes à cultiver

Pour contribuer au renforcement de la liberté d’expression et de la presse, il importe plus que jamais de combattre les réflexes qui contribuent à l’affaiblir. Par exemple, on tient trop souvent pour acquis que le seul fait qu’un propos contredit nos croyances est un motif suffisant pour le censurer. De même, on postule souvent dans certains milieux qu’il n’y a qu’une seule façon d’envisager l’intérêt public ou de se représenter ce qui constitue un comportement « raisonnable ». Lorsque la liberté d’expression est protégée dans une société pluraliste, il est normal qu’il coexiste plusieurs façons d’envisager le « raisonnable » ou l’intérêt public.

Lorsqu’un média contredit nos opinions, la tentation est forte de le condamner. Mais c’est justement le pluralisme des médias qui procure les meilleures garanties pour une information crédible. Protéger la diversité et l’offre médiatique variée est plus que jamais une condition de l’effectivité de la liberté de presse. Mais dans cet univers dominé par les plateformes en ligne qui valorisent l’attention et accaparent désormais les ressources générées par le marché publicitaire, la diversité des médias est en recul.

Ceux qui sont attachés à la liberté d’expression doivent tenir tête à ceux qui réclament de censurer ce qui ne fait pas leur affaire. Il faut cultiver le réflexe d’exiger qu’on établisse en quoi une limite que l’on revendique d’imposer à la liberté d’expression et de la presse est raisonnable et justifiable dans un contexte démocratique. Sans une telle démonstration, l’appel à la censure est liberticide.

En somme, pour cultiver les bons réflexes à l’égard de cette liberté essentielle à toutes les autres, une journée annuelle n’est vraiment pas de trop !

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