Salaire au minimum

Depuis lundi, le salaire minimum a franchi au Québec la barre longtemps convoitée des 15 $ l’heure. Une barre qualifiée de minimale, qui se situe désormais à au moins 18 $ pour plusieurs organismes issus du mouvement syndical et communautaire en cette conjoncture inflationniste et ce contexte d’érosion du pouvoir d’achat.

Le taux général du salaire minimum a été augmenté de 1 $, ou de 7 %, pour s’établir à 15,25 $ l’heure à compter du 1er mai. Celui payable aux salariés rémunérés au pourboire passe à 12,20 $ l’heure, soit une hausse de 80 ¢. Le ministre du Travail, Jean Boulet, a rappelé que la hausse du taux général bénéficierait à 298 900 salariés, dont 164 100 femmes. Tout en réitérant sa cible d’un ratio de 50 % entre le taux général du salaire minimum et le salaire horaire moyen.

Le Québec sera donc dépassé cette année par trois provinces avec, en tête, les 16,75 $ l’heure de la Colombie-Britannique (devant entrer en vigueur en juin), les 16,55 $ l’heure de l’Ontario (au 1er octobre) et les 15,30 $ du Manitoba (au 1er octobre aussi). Il continuera également de subir la pression du fédéral, qui a fait passer son salaire minimum de 15,55 $ à 16,65 $ le 1er avril dernier, en réponseà une progression de 6,8 % de l’Indice des prix à la consommation (IPC) en 2022.

Ottawa avait fixé la barre bien haut en appliquant une mesure budgétaire d’avril 2021 commandant une hausse du salaire minimum fédéral à 15 $ l’heure à la fin de décembre de la même année. Ce salaire minimum touche les travailleurs et la structure salariale des entreprises du secteur privé sous réglementation fédérale et vient fixer un plancher. C’est donc dire que, pour les travailleurs des banques, des services postaux et de messagerie, ou encore des transports interprovinciaux aériens, ferroviaires, routiers et maritimes exerçant dans des provinces ou des territoires où ce salaire est plus élevé, ce dernier s’appliquera. À l’inverse, c’est le montant de 16,65 $ l’heure qui prévaudra, notamment au Québec. Il augmentera ainsi chaque année le 1er avril, au rythme de l’évolution de l’IPC de l’année précédente.

Perte du pouvoir d’achat

Déjà l’an dernier, la perte du pouvoir d’achat traduisait la flambée inflationniste, mais aussi le décalage dans le temps de l’ajustement de la table d’imposition ainsi que de grands programmes de transferts sociaux, comme le crédit d’impôt pour solidarité ou l’allocation famille, en fonction du coût de la vie. La poussée rapide et persistante de l’inflation vient accentuer la portée de ce décalage dans le jeu de l’indexation. Sans oublier que, sous l’inflation globale, se cache une hausse plus marquée du prix des produits de base tels que l’alimentation et le logement affectant proportionnellement davantage les bas salariés.

Et en 2023, l’apparente baisse du rythme de la poussée inflationniste observée en ce début d’année repose largement sur un effet de base ou de glissement annuel.En publiant la valeur de mars pour l’IPC, Statistique Canada en a fait largement mention. « Durant la première moitié de 2022, l’économie mondiale a été touchée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et les consommateurs canadiens ont été confrontés à une augmentation considérable des prix de janvier à juin 2022. » L’inflation globale telle qu’elle est mesurée par l’IPC est passée de 5,1 % en janvier à 8,1 % en juin 2022. Il en résulte que, sur la base de cette hausse généralisée observée durant les premiers mois de 2022, le taux d’inflation d’une année à l’autre apparaît donc moins élevé en ce début de 2023. Or, « même si la croissance de l’inflation a ralenti au cours des derniers mois, les prix demeurent élevés. Les utilisateurs devraient tenir compte de l’incidence des effets de glissement annuel au moment d’interpréter les variations de prix sur 12 mois », prévient Statistique Canada.

En guise d’illustration, le rythme de progression de l’IPC a été mesuré à 4,3 % en mars dernier comparativement à un an plus tôt. Mais la hausse du prix des aliments a été de 8,9 % et celle du logement, de 5,4 %. En mars 2022, l’augmentation des prix à la consommation avait été de 6,7 % d’une année à l’autre.

Pénurie de main-d’œuvre

La pénurie de main-d’œuvre vient cependant atténuer l’effet de l’érosion. Un texte de La Presse canadienne du 18 avril a abondamment circulé dans les médias. On y lisait que de nombreuses entreprises fixent leur propre salaire minimum à un niveau beaucoup plus élevé pour accroître leurs chances de recrutement. « En marge du Salon de l’emploi et de la formation continue, tenu les 19 et 20 avril à Montréal, un sondage maison réalisé par les organisateurs de l’événement a révélé que de nombreuses entreprises seront ouvertes à offrir des salaires beaucoup plus attrayants à des employés qui gagnaient autrefois le salaire minimum afin de les convaincre de rejoindre leurs rangs. »

« Le sondage interne qu’on a réalisé auprès de nos exposants a démontré que quasiment 30 % des employeurs allaient offrir de 5 $ à 7 $ de plus que le salaire minimum qui va rentrer en vigueur le 1er mai. Je comprends à travers ce résultat que les entreprises ont de la difficulté à attirer de la main-d’œuvre et que l’un des arguments pour les attirer, c’est le salaire », a déclaré à La Presse canadienne le directeur de L’Événement Carrières, Éric Boutié. Il est donc clair que « maintenant, le salaire minimum n’est plus suffisant — et est loin d’être suffisant — pour attirer des ressources humaines, même pour des emplois non spécialisés ».

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

À voir en vidéo