La retraite de l’entrepreneur

En vingt ans de carrière, j’ai conseillé et côtoyé des entrepreneurs de tous les horizons, de tous les âges, de tous les secteurs d’activité et de toutes les régions. J’en suis venue à la conclusion que nombre d’entre eux présentent des traits communs, en ce qui concerne leur rapport à la retraite, notamment. Alors qu’il n’est pas rare que des salariés associent retraite avec liberté, les entrepreneurs vivent régulièrement l’opposé. Leur défi : trouver un nouveau sens à un horaire soudainement exceptionnellement vide.

La création d’une entreprise exige généralement un esprit passionné et une personnalité carburant aux défis. Même lorsque l’entreprise atteint le stade de la croissance ou de la maturité, son propriétaire continue de vivre un quotidien parsemé d’obstacles, alternant entre séries de succès et séries d’échecs. Par ailleurs, avec la liberté et une certaine aura de prestige liées à la vie active de l’entrepreneur, il n’est pas rare que l’idée de se retirer complètement génère un dilemme intérieur. Comment trancher entre le désir d’une transaction financière payante grâce à la vente de l’entreprise et la crainte de signer ainsi la fin d’une épopée glorieuse ?

J’ai commencé ma carrière avec des mandats de développement économique, et je me rappelle que la transmission d’entreprises au Québec et le possible manque de relève étaient déjà des défis importants, et ce, depuis bien longtemps. Deux décennies plus tard, il est vrai que l’offre de formation et d’accompagnement, tant pour les vendeurs que pour les repreneurs, est bien implantée et accessible. Mais tout repreneur potentiel ayant « magasiné » des entreprises existantes à acquérir sait aussi que, malgré des statistiques impressionnantes quant au nombre potentiel d’entreprises à transférer, la concrétisation par une transaction conclue est loin d’être garantie.

Vendre une entreprise entraîne un changement de statut social important. C’est aussi accepter un rythme de vie — tant socialement que financièrement — généralement plus tranquille. L’entrepreneur accompagné d’experts fiscaux et financiers sait déjà que le succès de la transaction requiert une préparation d’au minimum deux années, mais idéalement souvent beaucoup plus longue.

Peut-être sous-estime-t-il toutefois l’importance de l’accompagnement mental et psychologique en complément à son équipe de fiscalistes, d’avocats et de planificateurs financiers. Plus le quotidien de l’entrepreneur tourne autour de son entreprise, plus il devrait préparer avec soin l’intégration de nouvelles activités, de nouvelles relations et de nouveaux objectifs personnels en prévision de la retraite.

L’entreprise comme régimede retraite

« Mon entreprise, c’est mon fonds de pension. » Cette affirmation, spontanément énoncée par plusieurs propriétaires d’entreprise, peut dénoter une prise de risques financiers excessive à titre personnel. Les profits de l’entreprise y sont réinvestis afin d’atteindre des objectifs de croissance continue. Les entrepreneurs doivent garder en tête que leur enrichissement financier personnel ne doit pas uniquement dépendre de la possibilité de revendre un jour les actions qu’ils détiennent dans leur société.

Il faut trouver un équilibre entre une gestion efficace des liquidités de l’entreprise pour soutenir les projets de croissance et la bonne santé financière de l’entreprise. Sans oublier l’importance pour l’actionnaire de veiller à se rémunérer adéquatement.

Le régime de retraite a pour caractéristique que vous y cotisez régulièrement, chaque année, une partie de vos revenus. L’entreprise comme actif principal pour la retraite se démarque plutôt par le fait que sa valeur marchande est absolument théorique. Ainsi, des actions peuvent valoir plusieurs millions « sur papier » alors que leur valeur véritable ne se matérialisera qu’au moment où un acheteur sera prêt à prendre le risque de les payer en argent sonnant.

Pour de nombreux chefs de petites et moyennes entreprises, l’hypothèse de vente des actions ne devrait pas être intégrée aux scénarios de la retraite. Des stratégies de planification financière personnelles devraient être adoptées le plus vite possible par l’entrepreneur afin de compenser cette incertitude. Selon la situation personnelle et familiale, un plan devrait être bâti afin d’optimiser la situation fiscale de l’actionnaire pour maximiser sa rémunération et ses véhicules d’épargne personnelle et/ou d’entreprise, selon le cas. Ce faisant, la vente des actions à leur pleine et juste valeur marchande ne fera que faciliter ou devancer l’atteinte des objectifs d’indépendance financière et de retraite.

En somme, l’entrepreneur qui a du succès sait prendre des risques pour assurer la croissance de son entreprise. Il doit tout de même se rappeler qu’il en est aussi l’employé. S’investir avec coeur et passion ne signifie pas oublier que c’est l’entreprise qui travaille pour l’entrepreneur et non l’inverse. S’il déborde de courage, d’ambition et possède une capacité exceptionnelle à assumer de nombreuses responsabilités, cet entrepreneur devrait aussi avoir la sagesse de s’entourer d’une équipe d’experts pour le soutenir humainement et financièrement afin de ne pas sous-estimer l’importance de la préparation de sa retraite.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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