La moitié gauche du frigo

Ma protégée mexicaine a compris que la météo était notre sport national, que l'hiver ressemblait à la guérilla.
Photo: Getty Images Ma protégée mexicaine a compris que la météo était notre sport national, que l'hiver ressemblait à la guérilla.

Tout ça, c’est grâce à Mafalda. Lorsque j’ai « zoomé » l’avatar de Maria, j’ai remarqué qu’elle était assise à côté d’une Mafalda en carton qui disait : « hay mas gente interesada que gente interesante » (il y a plus de gens intéressés que de gens intéressants). Je l’ai tout de suite aimée. Voilà une fille qui a compris l’essentiel.

La semaine précédente, à la mi-août, j’avais lu un article qui relatait les problèmes criants de logements pour les étudiants étrangers. Ils débarquaient à Montréal pour la rentrée, en pleine crise du logement, en quête d’un toit déjà meublé, décoré, habité et du mode d’emploi qui vient avec la moitié gauche du frigo.

J’ai décidé de mettre une annonce afin d’aider une étudiante à s’intégrer (désolée pour le genre, je sais, c’est mal, je suis une indécrottable elle, she/her) et je voulais donner une nouvelle vocation à la chambre de mon B envolé plut tôt dans l’année. « T’es sûr, hein, que tu ne reviendras pas ? ! » l’ai-je semi-averti.

Le syndrome du nid vide nous fait faire de drôles de choses. Je n’ai jamais eu de coloc de ma vie, je suis plutôt ordonnée, solitaire mais sociable, ET je chéris le silence. J’écris, crisse !

Maria fut la première à visiter mon appart et je lui ai refilé la clé après dix minutes. Voilà. C’était réglé, nous allions cohabiter. Folle de même. Je lui ai dit que j’étais là pour l’aider en tout et en français — petit cours sur le péril français en Amérique ici —, même si elle parle très bien l’anglais et l’espagnol. Doctorante à l’UQAM — mon alma mater —, elle est originaire de Rrrrrrralapa (Xalapa), la capitale de l’État de Veracruz au Mexique : « Tu sais ? Comme les rrrrrralapenos ! »

Intégration météo 101

Mon appart est devenu un refuge pimenté pour une jeune historienne de 31 ans dont le rêve porte un titre pointu : « État, culture et censure, Mexique et Pérou, 1933-1940 ». Faut vivre avec ça et les discussions qui en découlent : « Tu vois, c’est l’analyse comparée entre deux systèmes autoritaires pour faire la création d’une culture hégémonique. » Soit. Je n’ai rien à rajouter. Par contre, lorsqu’on jase vanille mexicaine ou féminicides (huit par jour dans son pays), là, je me fais bavarde.

Maria appréhendait son premier hiver el norte ; son angoisse grimpait à mesure que descendait le mercure. Elle a survécu, impressionnée par notre sport national : la météo. « Ici, on parle météo comme chez vous des narcotrafiquants, tu vois ? C’est du sérieux. C’est notre guérilla. Certains n’en sortent pas vivants. » Une généreuse Lavalloise lui a offert un manteau Kanuk qu’elle avait annoncé sur Marketplace. Lorsqu’elle a su que Maria était étudiante, elle lui en a fait cadeau. Y’a encore du bon monde. Que j’en voie un dire du mal de Laval.

La directrice de thèse de Maria s’est étonnée que sa protégée s’installe en banlieue. « Oh ! C’est à cause de la personne », a simplement répondu Maria. Je dois être plus intéressante qu’intéressée. Entécas, la directrice était ravie quand elle a su que c’était moi : « Tu vas bien t’intégrer au Québec, c’est certain ! »

Un bien n’est agréable que si on le partage

La première boîte de sirop d’érable — cadeau d’arrivée, j’hésitais avec un cône orange —, les premières crêpes aux bleuets du Lac-Saint-Jean, le tour de nuit de Montréal direction l’Oratoire en achetant des bagels chauds et du fromage à la crème et en passant par les ponts illuminés, la première tempête de neige à la campagne, l’ange dans la neige, comment pelleter, la chorale de Noël dehors avec le chocolat chaud, se préparer aux pannes, attaquer le froid à -35 °C sur la 35, j’étais là pour le lui faire vivre et assister à son étonnement.

L’emmener au spa urbain dans les vapeurs d’eau hivernales en février, lui faire goûter la cuisine d’ici à la SAT et rêver sous le dôme de la Satosphère, partager un ginto durant la Nuit blanche ou ses quesadillas sauce piquante (son grilled-cheese relevé), cuisiner des gâteaux suédois l’hiver et laisser le couteau dans le moule, faire du chaï maison et jaser de féminisme, de sa carrière, du chemin Roxham et de politique, l’inviter à voir La veillée de l’avant-veille, les sets carrés et la baquaise le 30 décembre, puis à manger des moules frites dans ma famille le lendemain, tout ça fait partie du bail.

« Tu peux dire à ta mère d’arrêter de s’inquiéter, je suis ta maman québécoise, OK ? » Sa mère est rassurée. Non, il n’y a pas de narcotrafiquants à Saint-Lambert, mais on fait du recel de véhicules volés devant mon immeuble. Sept voitures de police la semaine dernière, les guns pis toute. C’est pas plate. Que j’en voie un dire du mal de Saint-Lambert.

Loger à la même adresse

Je termine l’essai passionnant de la journaliste Gabrielle Anctil Loger à la même adresse, sur les communautés intentionnelles et les cohabitats : « Conjuguer nos forces face à la crise du logement, l’isolement et la pauvreté. » Il ne fait aucun doute que l’avenir n’est plus ce qu’il était et que nous allons devoir repenser nos habitations à la faveur d’une crise climatique, énergétique, économique et sociale. Sans parler du vieillissement des boomers, un problème pour l’État.

Mais le résultat est toujours le même : lorsque je m’éloigne du collectif, je vais moins bien

Gabrielle Anctil pratique la colocation extrême depuis 2008 dans HoMa, une communauté intentionnelle qu’elle a fondée avec deux amis, devenue un hameau urbain de 5 apparts et 9 personnes.

Ils remettent en question la famille nucléaire comme modèle porteur et divisent les responsabilités en partageant les ressources dans le clan amical, notamment deux repas par semaine préparés pour le groupe, sauf l’été. La formule où chacun contribue selon ses revenus peut faire rêver. Mais Gabrielle Anctil évoque également la portion règlements de conflits et communication non violente dans son bouquin. Elle offre des pistes concrètes. Je vais le refiler à deux amies tentées par le modèle.

Il ne fait aucun doute pour moi que préserver l’intimité tout en partageant des espaces communs est un modèle d’avenir souhaitable. Tout comme le transgénérationnel et le transculturel sont un enrichissement mutuel. Ma petite « communauté d’intention » exige que je sorte de ma zone de confort, mais aller vers l’autre m’a permis de réenchanter mon regard et d’y ajouter du picante : mi casa es tu casa.

cherejoblo@ledevoir.com

Revu le film L’auberge espagnole du cinéaste Cédric Klapisch. Cette histoire de colocation à Barcelone tient toujours la route et nous plonge dans les joies et difficultés de cette « auberge » d’étudiants étrangers. Le cinéaste vient de réaliser la série Salade grecque, avec certains des personnages repris du film, dont Xavier et Wendy. Bien hâte de la voir.
https://bit.ly/3At22QS

Lu cet article sur la communauté intentionnelle, L’infini, 12 personnes qui partagent un 800 pieds carrés à Montréal. Il y aurait beaucoup de roulement. On se doute un peu pourquoi.
https://bit.ly/421DnyM

Dévoré Loger à la même adresse de Gabrielle Anctil. Les modèles de communes, cohabitats, habitats participatifs, écovillages, ont le vent dans les voiles. Ils permettent de recréer un environnement à dimension humaine et d’offrir des services que l’État ne peut pas toujours donner. 90 % de ces projets ne voient jamais le jour. Mais ce livre permet de s’outiller et de s’aider dans la mise en chantier de ces lieux de vie partagés. Un ouvrage essentiel qui allie théorie et pratique.
https://bit.ly/3ACDQvz

Aimé l’adaptation de la pièce Deux femmes en or par Catherine Léger du scénario du regretté Claude Fournier et de Marie-José Raymond. Les questions posées par ces deux voisines déprimées (succulentes Sophie Desmarais et Isabelle Brouillette) sur la monogamie, le désir, le modèle de famille nucléaire et l’infidélité sont totalement d’actualité. Et on s’amuse franchement à les voir reprendre le contrôle sur leur désir… de vivre. Au théâtre La Licorne jusqu’au 20 mai (complet), et supplémentaires du 5 au 21 décembre 2023.
https://bit.ly/3LbrDTg

JOBLOG | Réinventer le couple ?

Avec le balado en quatre épisodes 2023 façons d’aimer, la journaliste Marie-Hélène Proulx aborde plusieurs sujets, comme Tinder, le polyamour, le couple ouvert et toutes les variantes possibles. Le couple traditionnel en prend pour son rhume, et pour cause. Les femmes considèrent de plus en plus qu’elles sont perdantes sur plusieurs plans, chiffres à l’appui, notamment celui de la charge mentale, des tâches domestiques et des enfants, sans compter que ce modèle les isole quand il n’explose pas tout simplement.

Le balado a le mérite de donner la parole à des gens qui se questionnent sur les modèles reçus et à quelques spécialistes, dont le sociologue Jean-Claude Kaufmann (La trame conjugale, Sociologie du couple, La femme seule et le prince charmant, Pas envie ce soir).

Très éclairant et, ma foi, encourageant. Les modèles ne sont pas forcément figés pour l’éternité, pour le meilleur et pour le pire. Mais il faut avoir le courage de dépasser le convenu et d’inventer sa propre histoire.

https://bit.ly/41EAPXy



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