Clochers et rancunes

Tous ces propos lus et entendus sur la religion catholique au Québec francophone depuis deux semaines m’ont donné envie de goûter des moments d’intériorité silencieuse. Car les gaffes et les intentions présumées de ceux qui valorisaient cet héritage honni, François Legault en tête, me semblaient tenir de l’arbre qui cache la forêt. Les commentaires des uns et des autres réveillaient par-dessus tout le traumatisme énorme, jamais résorbé, du catholicisme en nos terres. Avec la honte collective et l’envie de l’ensevelir à jamais sans sépulture ni croix dessus, comme un vampire percé d’un pieu.

Il y a de quoi râler. La domination du clergé se mariait à une ignorance qui assurait la docilité du peuple. On pense à toutes ces pauvres femmes, épuisées par trop d’accouchements, dans des familles incapables de subvenir aux besoins de nouvelles bouches à nourrir, astreintes par leurs curés au « devoir conjugal » en récitant leur chapelet pendant l’acte. À ce spectre de l’enfer brandi sur la tête de chacun. Sans oublier les victimes d’abus de religieux, eux-mêmes frustrés au dernier degré.

Les peuples, comme les individus relativement à l’enfance, ont mal au passé, quel qu’il soit, au fait. Reste que les Québécois de souche en bavaient avant la Révolution tranquille qui vida ses églises. Assez pour regarder de travers ses nefs et ses clochers. À ce patrimoine précieux entêté au souvenir, on peine à trouver de nouvelles vocations, faute de mesurer sa pleine valeur, sous la charge des affects en furie.

Pourtant, les mentalités de jadis se sont propagées aux générations du dessous, dont l’anti-intellectualisme, rescapé des sermons contre les libres penseurs. Parmi les laïcs contemporains, de petits curés et de bonnes soeurs qui s’ignorent soufflent une intolérance de tradition. Des préjugés incrustés comme la peur de « l’autre » demeurent non identifiés faute de remonter leurs sources. Quant à la misogynie, elle provient beaucoup des enseignements des pères de l’Église, transmise à des générations de fidèles, puis à leurs enfants jusqu’à nos jours.

De tels blocages, justifiables certes, empêchent bien des compatriotes de se connaître. Les legs du catholicisme, même occultés, demeurent dans nos esprits, avec leurs aveuglements comme leurs aspirations à quelque chose de plus, de l’ordre de la spiritualité et de l’éthique, rejetés pourtant par plusieurs, car associés aux anciens dogmes. Le meilleur film sur les transmissions entre l’héritage catholique et la pensée laïque est à mon avis La Neuvaine, de Bernard Émond, qui réconciliait sans les juger croyants et hérétiques.

Les Québécois francophones ont-ils conservé dans leurs moeurs un sens de la solidarité issue du noyau religieux, comme le croyait Mathieu Bock-Côté dans son écrit choc retweeté par le premier ministre ? Pas sûr ! L’individualisme ambiant semble écraser tout. Mais il est vrai qu’autrefois, à la campagne, des corvées villageoises se voyaient organisées en paroisses pour reconstruire des granges incendiées et aider des voisins à bâtir maison. Par ailleurs, la langue française fut préservée avec l’appui des autorités cléricales qui trouvaient là une force de cohésion. Les religieux et les religieuses l’enseignaient, ironie du sort, dans les écoles bien mieux qu’aujourd’hui. Dans leurs rangs, de vrais salauds voisinaient des personnes d’un grand dévouement, comme partout. Quant aux archives des vieilles congrégations, elles regorgent de formidables récits sur la Nouvelle-France et sur les liens des fils et des filles d’Européens avec les Autochtones, éclairant les temps anciens.

Souhaitons à bien des Québécois de faire un jour la paix avec ce long épisode du catholicisme, car le rejet a entraîné hélas ! une rupture avec l’ensemble du passé. La connaissance du fabuleux folklore, nourri de chansons françaises aux nombreux refrains adaptés au territoire d’épinettes (sur violons irlandais), pâtit de ce fil sectionné à la Révolution tranquille. L’histoire nationale, souvent mal enseignée, intéresserait davantage la population sans cette rancune contre le clergé chevillée aux mémoires. Se plonger dans les nombreux ouvrages historiques proposés en bibliothèque et en librairie, c’est se délecter des trajectoires de divers peuples sur une même terre.

Les héritages véhiculent une culture vivante dans les psychés, quoique niée bien haut. Or, porter plusieurs générations tout en leur tournant le dos, c’est priver les jeunes de capter les lueurs. Accepter le passé religieux comme réalité historique ne transformerait pas des athées en fervents catholiques ni n’effacerait leurs griefs. Mais elle aiderait à se relier à la chaîne des filiations avec son colonialisme, ses abus, ses idées reçues, ses soumissions, ses révoltes et ses enracinements. Toutes survivances à déchiffrer en nous.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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