La Charte des droits et les chaînes du PLQ
Les libéraux de l’ère Charest éprouvaient une réelle affection pour leur chef. L’ancienne ministre de la Famille Yolande James l’admirait au point de le comparer à l’agent 007. Lui-même avait retenu de Brian Mulroney qu’il ne fallait ménager aucun effort pour s’assurer la fidélité des députés, qui constituent l’ultime rempart quand les choses tournent mal.
Si le vingtième anniversaire de la victoire d’avril 2003 a donné lieu à de chaleureuses retrouvailles, c’était aussi l’occasion de s’abandonner pendant quelques heures à la nostalgie des beaux jours, quand le PLQ pouvait encore prétendre être « le parti naturel de gouvernement ».
On se bouscule à son chevet ces jours-ci. Chacun y va de son diagnostic et suppute les chances de survie du moribond. Avec seulement 4 % des intentions de vote des francophones, il y a en effet de quoi s’inquiéter. Même les anglophones l’ont boudé lors de la récente élection partielle dans Saint-Henri–Sainte-Anne.
À l’Assemblée nationale, les survivants de l’hécatombe du 3 octobre dernier semblent eux-mêmes se demander ce qu’ils font encore dans cette galère et s’ils ne devraient pas envisager une réorientation de carrière. La prochaine élection vient toujours trop vite quand on est déboussolé à ce point, et il ne faut pas espérer de miracle du comité de relance coprésidé par l’ex-sénateur André Pratte et la députée Madwa-Nika Cadet.
C’est devenu un lieu commun de dire que le Parti libéral et le Parti québécois sont victimes d’un changement de paradigme du débat politique au Québec, qui n’est plus dominé par la question nationale. Dans ce nouveau contexte, le PLQ a cependant perdu plus que le PQ. Les péquistes continuent à mener le combat pour l’indépendance, tandis que les libéraux ne peuvent plus faire miroiter de façon crédible la possibilité d’un renouvellement du fédéralisme.
Malgré la fourberie de Pierre Elliott Trudeau qui, durant la campagne référendaire de 1980, avait sciemment trompé les Québécois sur le sens d’un vote pour le Non, son départ et l’arrivée de Brian Mulroney avaient permis à Robert Bourassa de présenter une solution de remplacement à la souveraineté en négociant l’accord du lac Meech et l’entente de Charlottetown.
Durant la campagne électorale québécoise de 1998, Jean Chrétien, qui s’était déjà opposé à l’accord du lac Meech, a scié les jambes de Jean Charest en opposant une fin de non-recevoir catégorique à sa tentative de relancer les négociations constitutionnelles. Heureusement, M. Chrétien a annoncé son intention de quitter la politique avant l’élection québécoise de 2003, de sorte qu’il était de nouveau possible d’espérer une certaine ouverture à Ottawa.
En 2004, Paul Martin a accepté le principe de l’asymétrie dans le financement des services de santé, comme le réclamait le Québec, et Stephen Harper a fait quelques concessions d’ordre symbolique.
Quand il est devenu chef du PLQ, Philippe Couillard projetait de conclure une entente qui permettrait de faire coïncider la réintégration du Québec dans le giron constitutionnel avec le 150e anniversaire de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, en 2017. Justin Trudeau a dit non ; M. Couillard n’a pas insisté.
Plus personne ne voit le jour où ce dossier pourra être rouvert. Le premier ministre Legault sait d’ailleurs depuis le début que les demandes formulées en 2015 par la CAQ dans son « Nouveau projet pour les nationalistes du Québec », qui reprenaient largement celles de Meech, sont irrecevables au Canada anglais, aux yeux duquel la spécificité du Québec consiste surtout en une propension à l’intolérance, voire au racisme, qu’il n’est pas question de tolérer. Il a cependant été en mesure d’offrir un exutoire aux humeurs nationalistes et à la « fierté » québécoise en réactivant le débat sur les questions identitaires : immigration, laïcité, langue.
Le drame du PLQ est que ce recours lui est interdit. Il n’a rien à offrir aux francophones pour leur rendre le Canada plus confortable.
L’ancien ministre Benoît Pelletier estime que le Parti libéral a « une conception trop absolutiste des droits et libertés » individuels, qui devraient être mieux conciliés avec les droits collectifs. C’est précisément ce que le PLQ n’a pas le loisir de faire parce que ses électeurs anglophones et allophones, sans lesquels il n’aurait fait élire aucun député, ne l’accepteraient pas.
Dominique Anglade a fait la démonstration de cette dépendance durant son bref règne. Dans un premier temps, elle s’était engagée simplement à ne pas renouveler la disposition de dérogation incluse dans la loi 21 sur la laïcité, mais cela n’a pas suffi ; elle a dû promettre de la modifier pour autoriser les enseignants à porter des signes religieux. Ensuite, après avoir proposé de renforcer la loi 96 sur la langue en imposant des cours en français à tous les cégépiens, y compris les anglophones, elle a dû faire volte-face et la rejeter en bloc.
Le PLQ a choisi de s’enchaîner à la Charte des droits et libertés, dont il a accepté la sacralisation alors qu’il avait pourtant dénoncé son enchâssement dans la constitution canadienne en 1982. À moins qu’il décide de s’en affranchir, le prochain anniversaire pourrait avoir des allures mortuaires.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.