Étiqueter CBC et Radio-Canada
Depuis longtemps, des politiciens de toutes tendances s’en prennent au diffuseur public. Mais la semaine dernière, Pierre Poilievre, chef de l’opposition à Ottawa, est descendu d’un étage en réclamant de Twitter que la CBC soit étiquetée comme un média financé par le gouvernement. Une telle désignation assimile le diffuseur public aux organes de propagande des États totalitaires. Or, le seul fait qu’un service public soit financé à partir de fonds publics n’en fait pas une officine aux ordres des dirigeants en place. À moins de faire fi des exigences élémentaires de l’État de droit et de se mettre à prétendre que les juges, la vérificatrice générale ou les chercheurs universitaires sont aux ordres du gouvernement en place.
La démarche du chef de l’opposition est en droite ligne avec ses menaces de « définancer » le radiodiffuseur public. Il affirmait que les anglophones peuvent se passer de la CBC, car CNN ou Fox News proposent des services similaires, donc interchangeables ! Il promettait de privatiser CBC tout en prétendant maintenir son pendant francophone. Une position irréaliste qui semble postuler qu’il serait possible de violer le droit à l’égalité pour ne desservir que les francophones ! Le plus grave est que cette posture fait fi des lois et des principes constitutionnels régissant les médias publics dans les pays démocratiques.
Radio-Canada et CBC ne sont pas des services qu’un gouvernement peut supprimer à sa guise. La fourniture d’un service répondant aux standards énoncés dans la Loi sur la radiodiffusion ne peut être assimilée à une fonction gouvernementale.
Dans les pays démocratiques, les médias de service public ne sont pas aux ordres du gouvernement en place. Leur mandat leur impose l’obligation de servir les citoyens — et non le gouvernement — avec une programmation répondant aux plus hauts standards d’équilibre et de qualité.
Dans un média gouvernemental, les décisions éditoriales (publier ou non) relèvent ultimement des décideurs politiques en place. C’est le régime qui prévaut dans les pays totalitaires. Par contraste, un média public jouit d’une indépendance éditoriale. Ce sont les professionnels de l’information et de la programmation qui y décident seuls de ce qui sera diffusé. Le gouvernement ne peut se comporter à l’égard du radiodiffuseur public comme s’il en était l’actionnaire majoritaire.
Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, les tribunaux ont refusé de considérer que les radiodiffuseurs publics sont un service gouvernemental. Dans le même esprit, la Cour constitutionnelle allemande affirmait en 1994 l’obligation de financer les radiodiffuseurs publics en accord avec les exigences des fonctions qu’ils sont appelés à assumer. La Cour précisait que le financement doit être accordé suivant une procédure qui écarte toute possibilité d’influence politique sur la programmation des diffuseurs publics.
Les tribunaux canadiens reconnaissent depuis longtemps que les autorités gouvernementales n’ont pas la faculté de s’ingérer dans le fonctionnement des médias. Dès 1938, la Cour suprême reconnaissait la faculté de l’éditeur de décider des contenus de sa publication, sans l’intervention des autorités gouvernementales.
La Loi sur la radiodiffusion mandate Radio-Canada à titre de radiodiffuseur public national pour « offrir des services de radio et de télévision qui comportent une très large programmation qui renseigne, éclaire et divertit ». En 1983, la Cour suprême interprétait ces dispositions comme reflétant une volonté de « […] créer un service national de radiodiffusion qui ne soit pas soumis à l’influence du milieu politique, y compris celle des pouvoirs exécutif et législatif, dans la mesure où cette influence peut empiéter sur le bon fonctionnement apolitique de ce service public de radiodiffusion ».
La garantie de la liberté d’expression emporte l’obligation d’assurer au diffuseur public un financement compatible avec le mandat que lui assigne la loi. Le pouvoir gouvernemental de décider du niveau et de la forme de financement qui lui est dévolu est donc sujet à des balises constitutionnelles. Le gouvernement n’a pas le loisir de fixer à sa guise le financement de Radio-Canada en marge d’un mécanisme public d’évaluation de l’adéquation entre les ressources accordées au diffuseur public et les exigences inhérentes au mandat que la loi lui impose.
La garantie constitutionnelle de la liberté d’expression impose de respecter un processus public et indépendant comme celui qui est prévu par la loi sous l’égide du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) pour changer la morphologie des services offerts par le diffuseur public. De même, ceux qui estiment qu’un diffuseur ne respecte pas son mandat ont la possibilité de demander au CRTC d’examiner son fonctionnement. C’est dans le cadre d’un tel processus fondé sur des données probantes que l’opportunité de supprimer des pans entiers des services du diffuseur public doit être évaluée.
Le diffuseur public contribue à l’effectivité de la liberté d’expression, qui inclut le droit de tous les citoyens à une information produite selon les plus hauts standards de rigueur. L’affaiblir, c’est saper l’un des fondements de l’État de droit et de la démocratie.
Lorsqu’on prend au sérieux la liberté d’expression, on reconnaît que les médias publics sont un rouage essentiel des processus démocratiques. Ils sont trop importants pour être laissés à la merci des humeurs des politiciens.