L’IA en classe

On débat très chaudement en ce moment de la vaste et grave question de savoir ce que seront les effets sur nous des développements de l’intelligence artificielle (IA). Plutôt positifs ? Plutôt négatifs ? Pire encore ?

ChatGPT a rendu ces questions plus pressantes que jamais, et des milliers d’experts demandent justement une pause de six mois pour y réfléchir. Le moins que l’on puisse dire est que les prédictions sont on ne peut plus divergentes.

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Ce texte est publié via notre section Perspectives.

Des prédictions

Voici Yuval Noah Harari, l’auteur du fameux ouvrage Sapiens. Il est un des trois signataires d’un percutant texte qui s’ouvre sur une question à laquelle il est on ne peut plus facile de répondre.

On vous informe que la moitié des ingénieurs qui ont construit l’avion sur lequel vous êtes sur le point de monter estiment qu’il y a 10 % de chances qu’il va s’écraser, tuant tout le monde à son bord. Embarquez-vous ? La réponse va de soi.

Or, poursuivent les auteurs, interrogés l’an dernier, la moitié de plus de 700 sommités (chercheurs, universitaires) travaillant pour les principales entreprises d’intelligence artificielle estimaient qu’il y a 10 % ou plus de chances que si elle n’entraîne pas l’extinction de l’espèce humaine, elle lui causera des dommages très sévères, voire irréversibles.

L’argumentaire de Harari et de ses deux coauteurs soutient, en gros, que l’humanité se pense, se crée, existe par le langage et l’univers symbolique auquel il donne accès. L’IA menace de s’en emparer, de dévorer tout ce que nous avons produit, le digérer et commencer à déverser un flot de nouveaux artefacts culturels. « Pas seulement des dissertations scolaires », assurent les auteurs, « mais aussi des discours politiques, des manifestes idéologiques, des livres saints pour de nouveaux cultes. En 2028, la course à la présidence des États-Unis pourrait ne plus être menée par des humains ».

Bien entendu, même si le pire ne survient pas, l’IA continuera sans doute d’avoir d’importantes répercussions sur l’institution qui transmet tout cet héritage symbolique : l’éducation. Et pas seulement sur les dissertations scolaires…

Mais voici Michael Shermer, indéniablement un des plus importants sceptiques de notre temps. Il a refusé de signer la lettre de Bengio et al. En conversation avec David Brin, un de ces experts comme ceux qui ont été consultés plus haut, il converge, avec lui, vers l’idée que l’IA sera, au fond, un assistant personnel dont nous disposerons désormais et qu’une fois les habituelles précautions prises. Il n’y a pas de quoi s’inquiéter, et encore moins céder à ce qui leur semble une hystérie collective. Admettons.

Mais en attendant, que fait-on en éducation ? Car la question s’y pose déjà. Et tout n’est pas toujours simple, loin de là. Voyez.

Des exemples

Voici une belle mais complexe fonction dont on doit calculer l’intégrale. L’élève qui s’y frotte l’a écrite à la main. Il n’arrive pas à la résoudre.

Il pourrait, certes, demander à son enseignant comment s’y prendre et celui-ci, sagement, lui montrerait toutes les étapes qui conduisent à la bonne réponse. Hélas, l’élève est chez lui et l’enseignant n’y est, bien entendu, pas.

Mais l’élève peut tout simplement utiliser Photomath. Il prend son cellulaire, photographie la redoutable équation écrite à la main. Et en un clin d’oeil, la bonne réponse et toutes les bonnes étapes qui y conduisent lui sont présentées !

Qu’est-ce que de telles applications, qui vont sans doute se multiplier, vont changer en éducation ? À quoi un enseignant peut-il encore servir ? Comment et quoi enseigner ?

Mais tout, bien entendu, n’est pas rose.

J’ai demandé à ChatGPT de me parler des styles d’apprentissage. Il m’a expliqué : « Les sciences cognitives nous enseignent que les personnes apprennent de manière différente. Certaines personnes sont visuelles ; d’autres sont auditives ; d’autres encore sont kinesthésiques. Il est important pour un parent de connaître le style de son enfant afin de lui offrir des conditions d’apprentissage qui lui correspondent. »

Chouette ? Sauf que de l’avis unanime des experts, les styles d’apprentissage sont… une légende pédagogique, de la pseudoscience. Bref : attention, danger !

On ne s’en étonnera donc pas. Les avis divergent fortement sur l’utilisation de l’IA en classe.

Éric Martin et Sébastien Mussi, qui signent Bienvenue dans la machine, se disent très inquiets.

D’autres y voient une révolution, inspirant des manières de mieux enseigner et même un outil précieux pour venir en aide aux étudiants à risque et pour lutter contre le décrochage scolaire.

À vos claviers !

Devant tant d’inconnues et de divergences d’opinions, et compte tenu de l’importance de l’enjeu, on doit, je pense, féliciter le gouvernement de convier, le 15 mai prochain, les acteurs du monde de l’éducation à une journée de réflexion sur la place de l’IA au cégep et à l’université — et espérer qu’on en tiendra bien vite une pour les autres ordres d’enseignement.

En attendant, je voudrais vous entendre me raconter très concrètement ce que vous faites (ou pas…) en classe dans ce dossier. Refusez-vous de vous servir de ces outils ? Pourquoi et comment faites-vous alors ? Quels usages en faites-vous, le cas échéant ? Et comment les encadrez-vous et en mesurez-vous les effets ?

Une prochaine chronique rapportera vos réponses. Pour me joindre : baillargeon.normand@uqam.ca.

Et n’oubliez pas de me le dire si vous souhaitez rester anonyme.

Au grand plaisir de vous lire.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.



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