La fronde des écrivains québécois
Au 3492, avenue Laval, la Maison des écrivains a des planchers craquants. J’ai toujours aimé ses bruits, son atmosphère feutrée, ses bibliothèques et son grand escalier. L’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) y maintient son siège social depuis 1992, louant des locaux aux associations littéraires pour des activités connexes, certaines ouvertes au public.
Cet immeuble-là porte les vestiges de son passé sur sa façade et dans ses murs. On les voit flotter entre les étages, les affiches et les livres (plusieurs légués par le critique littéraire Réginald Martel). Le cinéaste Claude Jutra vécut là sept ans. Gaston Miron y poussa ses coups de gueule et ses rires. Le poète Émile Nelligan, qui habita tout près au XIXe siècle, passait devant, comme après lui tant d’habitués du square Saint-Louis : Gérald Godin, Pauline Julien, Gilles Carle, Xavier Dolan et autres oiseaux bariolés.
La belle maison patrimoniale coûte cher à exploiter. Des problèmes de taxes liés aux subventions futures de l’organisme en changement de vocation mettraient les finances de l’UNEQ dans le rouge. Sa direction a décidé de sacrifier ledit éléphant blanc. Mauvaises communications aidant, la partie s’est corsée.
La vente prévue du lieu de mémoire,décriée par plusieurs, de Gilles Vigneault à Jacques Godbout, a été entérinée par vote des membres en réunion Zoom le 29 mars, par une courte majorité, à la va-vite, sous pépins techniques, après d’autres ordres du jour. Le sort de l’édifice divise toujours les écrivains. Depuis l’adoption de la nouvelle Loi sur le statut de l’artiste, en juin dernier, l’UNEQ peut négocier pour les auteurs des ententes collectives (comme l’Union des artistes avec les interprètes), et mettre à contribution financière ses troupes. Son mandat s’est accru.
Un moratoire de 18 mois fut approuvé par les membres afin que soit trouvé un acquéreur qui respectera la vocation du lieu. Or, coup de tonnerre : bientôt, une autre équipe de direction s’emparera du dossier. Comment dès lors prévoir la suite des choses ?
L’UNEQ tremble sur sa base. La semaine dernière, les démissions (qui prendront effet le 31 mai) de la présidente Suzanne Aubry, du directeur général Laurent Dubois et des membres du conseil d’administration illustraient l’échec des pourparlers acrimonieux. Au cours du même scrutin du 29 mars, les votants s’étaient prononcés en majorité contre l’imposition de prestations syndicales aux membres et aux non-membres afin de permettre à l’organisme de mieux négocier avec les éditeurs et de représenter des troupes divisées. Payer des cotisations, pour certains auteurs, ça fait mal. Plusieurs souhaiteraient que la situation économique de chacun soit prise en compte, côté contribution. Le diable est aux vaches !
Chose certaine : les membres de la future direction ont intérêt à mettre de l’eau dans leur vin pour faire passer le vent de réforme, après l’échec de leurs prédécesseurs. Car la boîte doit prendre les commandes des activités d’une façon ou d’une autre. Que faire ? Au fait, si les pourparlers entourant les cotisations échouaient de plus belle, l’UNEQ aurait-elle besoin de vendre la maison pour renflouer ses coffres ? Pas clair…
La nouvelle Loi sur le statut de l’artiste, réclamée depuis 20 ans, paraît, hélas, semée d’embûches. Le milieu littéraire se sent bousculé. Les auteurs avaient l’habitude de négocier leurs propres contrats avec les éditeurs pour le meilleur et pour le pire. Un vieux cliché l’assure : pas plus individualiste qu’un écrivain ! C’est tantôt vrai, tantôt non. Les mésaventures de l’UNEQ à coups de déchirements innombrables et de virulentes lettres aux journaux comme sur les médias sociaux donnent le vertige aux non-initiés.
Jetez dans une marmite des auteurs de littérature et d’ouvrages de cuisine, des biens nantis et des sans-le-sou, des aînés et des bleus, des spécimens rares qui vivent de leur plume, ceux qui travaillent ailleurs — déjà syndiqués ou pas —, des vedettes et des figures de l’ombre, des romantiques et des pragmatiques, des mondains et des misanthropes, des Cassandre et des jovialistes. Réunissez plusieurs fortes personnalités habiles à manier les mots avec l’habitude d’en découdre, des ennemis jurés et des alliés naturels. Placez en face une administration mal préparée. Ça crée la pagaille. Comme sur les pages que tant d’écrivains nous ont donné à lire pour exprimer leur courroux.
Difficile d’y voir clair sous ces fils enchevêtrés. Des arguments massue sont brandis de tous côtés. Du moins ces combats témoignent-ils de la passion des scribes pour leurs mots qui volent. Par-delà des issues incertaines, on éprouve un plaisir coupable à les voir ferrailler avec tant d’ardeur. Preuve qu’avec tant de mousquetaires en garde, le livre n’est pas près de mourir. Non mais…