Un budget signé Jagmeet Singh
Le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, n’a pas hésité un instant avant d’annoncer que sa formation allait appuyer le budget fédéral déposé mardi par la ministre des Finances Chrystia Freeland. En effet, il aurait été étonnant de voir M. Singh répudier un document qui porte autant ses marques au point que le chef conservateur Pierre Poilievre l’a qualifié de « budget néodémocrate ».
Un an après la signature de leur entente de soutien et de confiance, le mariage de convenance entre les néodémocrates et les libéraux semble avoir trouvé son rythme de croisière. Les deux partis ont su surmonter des moments difficiles — notamment autour de la tentative bâclée des libéraux de bannir certains modèles d’armes de chasse — pour renforcer leur alliance, ne serait-ce que pour gagner du temps. Il n’empêche que les différences entre les deux partis sont devenues si minces que les deux formations sont maintenant quasiment interchangeables.
Sous Justin Trudeau, les libéraux occupent plus que jamais le centre gauche de l’échiquier politique. Les néodémocrates peinent ainsi à se distinguer. Le seul dossier où la formation de M. Singh s’éloigne de l’approche libérale implique les crédits d’impôt pour le captage de carbone inclus dans les deux derniers budgets. Les néodémocrates considèrent qu’il s’agit des subventions aux énergies fossiles qui permettent à l’industrie du pétrole de continuer de produire. Or, il n’est pas certain qu’un gouvernement néodémocrate abolirait de telles mesures qui jouissent de l’appui du NPD en Alberta.
M. Singh a beau se féliciter d’avoir « forcé » les libéraux à lancer un nouveau régime canadien de soins dentaires pour les moins nantis, un tel programme s’inscrit parfaitement dans la vision progressiste et centralisatrice de M. Trudeau. Ce dernier se montre plutôt chiche quand les provinces réclament plus d’argent pour fournir les soins de santé déjà couverts par leurs régimes publics, mais il ne semble avoir aucun problème à délier les cordons de la bourse pour créer de nouveaux programmes sociaux à coûts partagés dont la facture risque d’exploser dans les années à venir.
Les libéraux augmentent les dépenses à un rythme si fulgurant qu’il serait difficile pour les néodémocrates de les surclasser en la matière. Vous vous souvenez quand le prédécesseur de M. Singh, Thomas Mulcair, avait promis des budgets équilibrés ? Cette idée n’effleure même pas l’esprit de M. Singh ni celui de M. Trudeau.
Depuis leur arrivée au pouvoir en 2015, les libéraux révisent continuellement à la hausse leurs propres prévisions en matière de déficit. Si c’était nécessaire durant la pandémie, la dette accumulée durant cette période devrait inciter les libéraux à faire preuve de plus de prudence aujourd’hui. Or, c’est le contraire qui se produit. « Avec chaque budget successif, le profil des dépenses augmente progressivement, et ce, malgré le fait que la COVID-19 soit passée à un stade endémique », ont fait remarquer cette semaine les économistes du Mouvement Desjardins.
C’est ainsi qu’au lieu du déficit de 30,6 milliards de dollars pour 2023-2024 prévu en novembre dernier dans l’énoncé économique de Mme Freeland, le budget de cette semaine prévoit plutôt un manque à gagner de 40,1 milliards. Au lieu des déficits accumulés de 70 milliards au cours des cinq prochaines années prévus dans l’énoncé automnal, ce sont maintenant plus de 130 milliards en déficits sur cinq ans que prévoit le dernier budget de Mme Freeland.
Il va sans dire que ces prévisions ne tiendront pas longtemps la route si le Canada entre en récession au cours de cette période ou si les libéraux décident d’aller de l’avant avec un programme national d’assurance médicaments comme leurs alliés néodémocrates les pressent de le faire.
L’appui au budget des néodémocrates écarte la possibilité d’élections hâtives en 2023. Et en regardant les derniers sondages, on comprend le désir de M. Singh d’éviter tout rendez-vous électoral à court terme. Le NDP en sortirait vraisemblablement avec moins de sièges que les 25 qu’il détient actuellement. Les libéraux perdraient aussi plusieurs plumes, selon la plus récente projection de sièges de Qc125. Même ensemble, libéraux et néodémocrates se trouveraient en deçà des 170 sièges nécessaires pour former une coalition informelle et bloquer la route à la formation d’un gouvernement conservateur minoritaire.
Certes, M. Poilievre ne bat pas des records de popularité. Mais, selon un sondage Nanos publié cette semaine, plus d’électeurs préfèrent le chef conservateur comme premier ministre à M. Trudeau. La cote de ce dernier est en baisse de plus de cinq points de pourcentage depuis un mois, alors que celle de M. Poilievre est en hausse de deux points. Les révélations autour de l’ingérence chinoise dans les élections de 2019 et 2021 y sont sans doute pour quelque chose. Mais la tendance n’était déjà pas favorable aux libéraux avant que cette controverse ne fasse les manchettes.
M. Singh a tout intérêt à profiter de ce moment au soleil arraché au budget, car ce moment risque d’être plutôt éphémère. À plus long terme, le virage à gauche des libéraux constitue une menace pour le NPD.