Scènes de guerre à Sainte-Soline

On ne sait presque rien de sainte Soline, sinon qu’au IIe siècle, cette jeune vierge aurait quitté son Aquitaine natale pour se rendre en pèlerinage à Chartres. C’est là qu’elle mourut en martyr, dit la légende, et que ses cendres furent enterrées au pied de la colline où est aujourd’hui érigée la plus belle cathédrale de France.

Nul doute que les 6000 manifestants qui se sont rendus à Sainte-Soline la fin de semaine dernière, une ville des Deux-Sèvres à laquelle elle a donné son nom, n’avaient pas l’intention de subir le même sort. C’est pourquoi ces bucoliques amants de la nature n’avaient pas oublié d’emporter 62 couteaux, 67 boules de pétanque, 13 haches ou machettes, 7 feux d’artifice et 5 matraques ou battes de baseball. Pour ne nommer que les armes qui ont pu être saisies.

Sachant que des manifestants connus pour leurs actions de commandos venaient de toute l’Europe, le préfet avait déclaré la manifestation illégale. Ce qui n’empêcha pas les plus déterminés venus spécialement pour en découdre de monter au front. Résultat : 200 blessés chez les manifestants et 40 chez les gendarmes. À certains moments, on se serait cru en Ukraine !

Au coeur de cette controverse, on trouve la construction de 16 bassins de rétention d’eau. Le principe appliqué dans de nombreux pays consiste à y pomper de l’eau de la nappe phréatique l’hiver pour la relâcher au printemps afin d’irriguer les cultures. Les partisans de cette pratique soutiennent qu’elle n’abîme pas les nappes et permet de moins pomper d’eau dans les rivières l’été. Pour y avoir accès, les agriculteurs s’engagent à diminuer leur consommation et à planter des haies. Les opposants soutiennent qu’une partie de cette eau s’évapore et que ces bassins favorisent la prolifération d’espèces exotiques envahissantes.

Comment un débat aussi banal, qui devrait relever d’un conseil municipal, a-t-il pu dégénérer en affrontements d’une telle violence ? Tout simplement parce qu’une poignée d’écologistes a choisi d’en faire un terrain d’affrontement.

L’affaire illustre la radicalisation d’une partie du mouvement écologiste. À l’image des Black Block qui, en France, prennent depuis 10 ans en otage toutes les manifestations syndicales, des organisations comme Les soulèvements de la terre appliquent des techniques de guérilla éprouvées afin de mener de telles actions coup de poing.

Ces militants écologistes « assument de plus en plus leur rapprochement avec l’ultragauche », déclarait au Figaro le journaliste indépendant Sébastien Leurquin, coauteur avec Anthony Cortes de L’affrontement qui vient. De l’éco-résistance à l’éco-terrorisme ?, un livre qui retrace la montée en violence de ce que l’on qualifiait hier encore de simple « désobéissance civile ».

Rien de spontané, en effet, dans ce qui s’est passé à Sainte-Soline. Ces mouvements se réclament d’ailleurs de théories politiques qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à celles qui inspirèrent dans les années 1960 et 1970 des groupes paramilitaires comme Action directe en France, les Brigades rouges en Italie ou les Black Panthers aux États-Unis.

Partisan d’un « léninisme écologique » et auteur d’un livre au titre éloquent, Comment saboter un pipeline, Andreas Malm était récemment de passage à Paris. Le géographe suédois inventeur du concept de « capitalocène » (capital + anthropocène) était venu y défendre l’alliance entre militants radicaux et modérés, entre actions violentes et non violentes. Les premières permettant aux secondes, dit-il, de faire des gains.

S’il rejette (pour l’instant, précise-t-il) toute forme de terrorisme, Malm ne s’en félicite pas moins que « le niveau de réceptivité, d’acceptation de la violence évolue avec le temps et avec la montée de la prise de conscience du danger environnemental ». L’intérêt de ces nouvelles milices serait donc de faire progressivement monter ce niveau. Selon Olivier Vial, spécialiste des mouvements radicaux, ce marxiste orthodoxe a « contribué à relégitimer l’utilité de la violence dans l’esprit des militants ».

Le raisonnement est connu. La pensée marxiste permet en effet de métamorphoser miraculeusement ces actions de guérilla en réactions de « légitime défense ». Dans la plus pure tradition de la lutte de classe, tout devient permis contre une police, une démocratie et un État que l’on dit « bourgeois ». Ou pollueurs, ce qui revient au même.

C’est sous l’influence de telles théories que des groupes comme Extinction Rebellion se font damer le pion par des groupuscules qui, à la simple occupation de l’espace public, préfèrent diverses formes de vandalisme, comme des jets de peinture (Just Stop Oil), ou de véritables sabotages, comme celui de ces militants qui ont tenté de scier un pylône de ligne à haute tension dans le Gard le 18 décembre dernier.

« On ne fait le mal que pour un bien, dit le philosophe André Comte-Sponville. Et l’on s’autorisera d’autant plus de mal que le bien paraît plus grand. » Loin d’être de simples dérapages, ces actions cherchent à habituer imperceptiblement la société à plus de violence, comme à d’autres époques des milices de droite et de gauche organisèrent systématiquement la montée aux extrêmes.

Ils signent le retour d’une gauche qui n’a toujours pas compris qu’elle pouvait être totalitaire. À quand les Brigades vertes ?

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