La ballade des vieux jeunes et des jeunes vieux
Le combat des anciens et des modernes dure depuis toujours. Réformistes contre conservateurs, aux armes !
Ces temps-ci, un vent de changement pousse des chroniqueurs et des humoristes « passés date » vers la sortie. Normal ! Mais de vieux jeunes et de jeunes vieux se heurtent aussi dans la joyeuse mêlée. Certaines têtes de pipe sont plus allumées que d’autres dans chaque tranche d’âge. Ou bien franchement bornées, vertes ou grises. Allez vous y retrouver.
Chose certaine, l’esprit collectif, survolant les murs générationnels, épouse des évolutions de société. Les femmes, les minorités ont envahi le champ professionnel. Les droits de la personne sont (en principe) mieux respectés qu’avant en Occident. Dans ce climat social, plusieurs gags et insultes deviennent franchement éculés, en vomissement de préjugés, de grossièretés d’arrière-garde, de parti pris.
D’où le cri de révolte de Gabriel Nadeau-Dubois contre le chroniqueur Gilles Proulx, qui avait lancé des noms d’oiseaux aux députés de Québec solidaire — « bâtards », « cochonneries », « gangrènes » et autres gazouillis — à l’émission de Richard Martineau sur QUB radio. QS ne portera pas plainte, réflexion faite. Simple avertissement ! Mais qui a résonné.
Oui, les temps changent, et pas toujours pour le pire.
Les médias sociaux célèbrent le carnaval de l’injure ; reste que sur les ondes, on devient plus circonspect. Rappelons que la liberté d’expression était aussi en jeu dans l’affaire Proulx. Un procès, ça se perd parfois. Et puis la vraie partie se joue ailleurs. Nul besoin d’arguments juridiques et de motion de blâme au Parlement. La tolérance du public, capitale dans le monde des communications, déterminera en fin de compte le sort des Gilles Proulx de ce monde. Si trop d’auditeurs se lassent… Si la partie se corse…
À Québec, un gars comme Jeff Fillion, devenu pour sa Radio X plus une nuisance qu’un appât, a été poursuivi par ses victimes et chassé des ondes. Il a vu ses actifs bancaires gelés. Le voici échoué dans une radio pirate comme Robinson Crusoé. L’animateur avait beau crier à la censure, sa corde s’était cassée.
Richard Martineau, pourtant virulent envers le wokisme, avait déjà soupiré devant son patron après que Gilles Proulx eut encore parlé de « cigarettes à plumes » et de « grosses torches » à son micro. Les jokes de mononcles d’antan suintant le mépris envers les minorités et les femmes passent moins bien qu’hier. Tant mieux ! Nul ne réforme un personnage comme Proulx, sorte de capitaine Haddock au château de Moulinsart. On le garde encore un moment, pro forma, avec ses outrances, ses archaïsmes, son français châtié et les poursuites dans son collimateur. Et on finit par le virer comme dinosaure.
Les humoristes ont fait aussi du brasse-ancêtres au Gala Les Olivier, où des millénariaux se sont payé la tête de leurs aînés. Quelques écorchés du soir égarèrent leur sens de l’humour en s’en offusquant. Ils n’étaient pas sur place pour répliquer à cette satire, faut dire. S’ils avaient pu orchestrer leur propre numéro en se moquant des excès du mouvement woke, ç’aurait été de bonne guerre. Un duel comique intergénérationnel, pourquoi pas ?
Comme disait Dany Turcotte à Tout le monde en parle, l’affaire aura du moins soulevé un débat avec répercussions sur le prochain gala, qui devrait être plus inclusif l’an prochain.
L’ancien fou du roi ne souhaiterait plus se produire en spectacle sur scène : « Trop mononcle dépassé pour ça ! » Pourtant, ce documentariste militant pour les droits LGBT nous semble bien plus sensible qu’autrefois. Turcotte précisait qu’à une autre époque, la production l’encourageait à faire ce type de blagues (méchantes) à TLMEP. Remarquez, il aurait pu s’y opposer… Les producteurs de cette émission lancent de toute évidence un nouveau message aux comiques du plateau, du style : « Allez-y mollo ! »
S’il remontait sur les planches, Turcotte serait plus allumé dans ses sketchs, plus raffiné qu’hier, ayant lui-même changé avec son temps. S’il redevenait fou du roi également.
D’autres humoristes se bonifient avec l’âge en renouvelant le genre ou en faisant des mutations sociales la matière même de leurs spectacles. Quant aux vétérans accrochés mordicus à leur mononclitude perdue, ils ont intérêt à lâcher le micro avant de se faire tasser en douce. Remarquez : de jeunes pousses trop dogmatiques et puritaines assomment le public à l’avenant. Nul ne possède le monopole du rasoir.
Les blagues de Mike Ward sur un handicapé mineur ne feraient plus rire grand monde. N’empêche que les censures d’une époque trop frileuse donnent de l’urticaire à plusieurs spectateurs. On souhaite à tous ces hilares d’apprendre aussi la danse acrobatique et de swinguer ensemble leur compagnie.