Les francofolies
Après que son chef eut crié à la nomination partisane, il était assez savoureux d’entendre la députée libérale de Mont-Royal–Outremont, Michelle Setlakwe, s’inquiéter du sort qui attend la nouvelle administratrice de la Francophonie, Caroline St-Hilaire, qui se voit dépouillée d’une partie importante de ses responsabilités avant même d’être entrée en fonction.
S’il fut une époque où les libéraux craignaient que les gouvernements péquistes utilisent les réunions de la Francophonie pour faire la promotion de l’indépendance, il faut reconnaître que le Parti libéral du Québec (PLQ), qui a été très actif dans l’affirmation de la personnalité internationale du Québec dans les années 1960, a tout de suite vu les avantages que le Québec pouvait tirer de sa participation à la Francophonie.
Dès le premier sommet, à Paris, en 1986, Robert Bourassa s’était même donné des petits airs de chef d’État souverain en se faisant le promoteur d’une sorte de « plan Marshall » pour les pays du Sud, au grand agacement de Brian Mulroney.
Jean Charest, qui affectionnait les relations internationales, se faisait aussi un malin plaisir de prendre le contre-pied de Stephen Harper, mais il affichait aussi un certain volontarisme dans la défense de la langue et de la culture françaises, même si cela ne se traduisait pas de façon évidente dans les politiques linguistiques de son gouvernement.
Sans surprise, François Legault a vu dans le Sommet de la Francophonie une bonne occasion d’affaires, mais il en a également profité pour exalter le combat pour la pérennité du français que les Québécois mènent dans le contexte difficile de l’Amérique du Nord.
Au-delà de la curiosité que suscitaient certains personnages, ces rencontres n’ont jamais créé un grand intérêt dans la population, même quand elles étaient tenues au Québec. L’institution commandait néanmoins un certain respect, malgré le piètre bilan d’un grand nombre de ses membres au chapitre de la démocratie et du respect des droits de la personne.
Au cours des dernières années, les doutes qu’ont soulevés sa gouvernance et son laxisme budgétaire lui ont fait perdre une grande partie de sa crédibilité, ce qui a inévitablement suscité des interrogations sur son utilité.
La contribution financière annuelle du Québec aux diverses composantes de la Francophonie demeure relativement modeste. Elle a été de 14,7 millions en moyenne entre 2016 et 2020, dont 5 millions pour sa maison mère, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).
Un rapport de la firme Raymond Chabot Grant Thornton commandé par le gouvernement Legault a évalué que chaque dollar investi dans la Francophonie générait des retombées économiques de 2,18 $, soit une moyenne annuelle de 31 millions.
Outre le caractère approximatif des calculs de ce genre, les dépenses de l’ancienne secrétaire générale Michaëlle Jean ont donné aux contribuables la désagréable impression que leur argent servait plutôt à financer la dolce vita de ceux qui avaient su se placer les pieds. Cette perception ne s’est pas améliorée depuis que la Rwandaise Louise Mushikiwabo lui a succédé.
Dès lors, il est difficile de ne pas voir dans les départs successifs des administrateurs dont on a flanqué Mme Mushikiwabo le résultat de manœuvres destinées à écarter les empêcheurs de danser ou de dépenser en rond.
Non seulement Caroline St-Hilaire s’est vu retirer l’autorité sur les divers bureaux de l’OIF dans le monde, mais la secrétaire générale a déjà décidé de la composition de son entourage. En plus de lui couper les ailes, comme l’a dit l’ancienne ministre libérale des Relations internationales Christine St-Pierre, on la met en cage.
Tout cela au moment où une consultation menée au sein de l’OIF, dont Radio-Canada a obtenu les grandes lignes, fait état d’un climat toxique et de harcèlement, dont se plaint près de la moitié du personnel, mais dont les plaintes restent lettre morte.
Si le malaise de l’actuelle ministre des Relations internationales, Martine Biron, est manifeste, la décadence de l’OIF ne semble pas troubler la France outre mesure. Il est vrai qu’en matière d’éthique publique, la république des copains n’a de leçon à donner à personne.
D’ailleurs, la France a toujours préféré les relations bilatérales avec les composantes de son ancien empire colonial à un multilatéralisme qui a fait entrer des « étrangers » comme le Canada dans la famille.
Pour se faire pardonner son rôle controversé dans le massacre au Rwanda, elle a pistonné à la tête de la Francophonie une ex-ministre d’un pays qui a écarté le français au profit de l’anglais. Qu’elle ait eu droit à un deuxième mandat donne la mesure du peu de cas qu’on fait de l’OIF à Paris.
Pour le Québec, elle constitue à la fois la principale fenêtre ouverte sur le monde et un indispensable allié dans la défense du français. Il ne peut pas se permettre que des folies la transforment en théâtre de guignol.