Déficit de productivité
La Banque du Canada ne cesse de le marteler. La productivité de la main-d’œuvre ne va pas dans la bonne direction. L’absence d’un renversement de tendance rend l’actuelle croissance des salaires, dans les 4 % à 5 %, incompatible avec un retour de l’inflation à la cible de 2 %.
Le 9 mars dernier, devant la Chambre de commerce du Manitoba, la première sous-gouverneure de la Banque du Canada, Carolyn Rogers, a mis en exergue le bon positionnement du Canada au sein du G7 en matière de progression du PIB, de l’inflation et de l’emploi. Pour ensuite avertir que « nous continuons d’avoir l’un des taux de croissance de la productivité les plus bas parmi le G7 ».
La banque centrale maintient son avertissement. « À moins que la croissance de la productivité ne devienne étonnamment forte, il ne sera pas possible d’atteindre la cible d’inflation de 2 % si la croissance des salaires se maintient dans cette fourchette », soit entre 4 % et 5 %. « Eh bien, les données de la semaine dernière montrent que la productivité de la main-d’œuvre au Canada a reculé pour un troisième trimestre d’affilée », a signalé Carolyn Rogers.
Pour la Banque du Canada, les gains de productivité sont un élément clé de la croissance de la production potentielle et, partant, d’une expansion non inflationniste durable de l’économie canadienne. Elle a de plus une incidence sur les coûts marginaux, un facteur déterminant du niveau des prix. Et les écarts de productivité entre secteurs et entre pays se répercutent sur le taux de change réel, a-t-elle déjà expliqué.
La réalité sur le terrain
Or, sur le plancher des vaches… Dans son regard sur les trois ans de la pandémie, Statistique Canada a mesuré qu’après avoir augmenté fortement au début, la productivité du travail au Canada a diminué pendant sept trimestres consécutifs avant de progresser au deuxième et au troisième trimestre de 2022. Dans l’intervalle, les coûts unitaires de main-d’œuvre ont bondi de 13 % par rapport au niveau de référence d’avant la COVID-19.
Dans ses données publiées au début du mois, l’agence ajoute que, dans les entreprises, la productivité du travail a reculé de 0,5 % au quatrième trimestre, ce qui représente une troisième baisse d’affilée. Ce recul reflète principalement la contraction de la production des entreprises observée après cinq trimestres de croissance, alors que les heures travaillées continuent d’augmenter, mais à un rythme beaucoup plus lent.
Les coûts unitaires de la main-d’œuvre — c’est-à-dire par unité de production — dans ces entreprises ont augmenté pour un quatrième trimestre de suite. La hausse de 1,1 % mesurée au quatrième trimestre reflète la croissance de la rémunération moyenne par heure travaillée combinée à la baisse de la productivité.
Entre les quatrièmes trimestres de 2019 et de 2022, la productivité du travail a diminué en moyenne de 0,1 % par trimestre. Dans les entreprises canadiennes, pour l’ensemble de 2022, elle a reculé de 1,5 % après avoir affiché une baisse historique de 6,2 % en 2021 et une croissance record de 8,8 % en 2020 sous l’effet de la pandémie, résume Statistique Canada.
Les intentions d’investissement sont pourtant bien ressenties.
La firme d’analyse Oxford Economics relève que les prévisions de dépenses en capital non résidentiel laissent miroiter une augmentation de 4,3 % cette année, à un rythme toutefois bien inférieur à celui de 11,2 % calculé en 2022 et de 10,3 % en 2021. Pour cette année, la progression des dépenses en capital atteindrait les 5,2 % dans le secteur privé et 2,7 % dans le secteur public. Dans le cas du privé, les dépenses dirigées vers la machinerie et équipement augmenteraient de 6,2 %, contre 4,5 % pour celles accaparées par la construction non résidentielle.
Au total, retient Oxford, 14 des 20 sous-secteurs affirment vouloir accroître leurs dépenses en capital cette année. Mais le plus gros des intentions vient de l’exploitation minière, pétrolière et gazière, avec une augmentation attendue de 13,7 %, qui s’ajouterait à celle de 24,3 % observée en 2022, et qui compterait pour environ la moitié de l’augmentation totale prévue cette année dans le privé. Voilà pour les intentions.
En réalité, il faudrait plutôt prévoir un recul de l’investissement privé de 1,5 % sous l’effet de la poussée des taux d’intérêt, des coûts élevés de main-d’œuvre et des matériaux et du ralentissement de l’activité économique, nous dit Oxford. Le gros de l’impact se manifestant dans l’investissement en machinerie et en équipement.
Fonte du stock de capital manufacturier
Stéfane Marion, économiste et stratège en chef à la Banque Nationale, a proposé une perspective intéressante. « Le Canada a actuellement 15 accords de libre-échange avec 51 pays différents. Ensemble, ces accords couvrent 1,5 milliard de consommateurs dans le monde. On pourrait penser que les fabricants canadiens s’efforceraient d’investir pour bénéficier d’un tel accès au marché. Hélas, ce n’est pas le cas. »
Qualifiant le constat de troublant, il ajoute que, « selon Statistique Canada, les investissements dans le secteur manufacturier sont si faibles qu’ils ne parviennent pas à compenser la dépréciation des machines et des installations existantes ».
« En conséquence, le stock de capital de l’année dernière était en fait plus bas que lorsque le premier accord de libre-échange avec les États-Unis est entré en vigueur, en 1989. Cette situation contraste avec celle des États-Unis, où le stock de capital est à un niveau record », note-t-il.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.