Nos villes inégales  face aux données

Un jour, le maire d’une ville québécoise m’a dit : « Il ne faut pas rendre nos données publiques trop rapidement, les journalistes pourraient les utiliser contre nous. » J’avoue avoir été complètement abasourdi par cet avertissement. En des temps comme les nôtres, propices aux fausses nouvelles, on se dit que cette réflexion n’a aucun sens. Réflexion faite, ce maire a beau avoir tout faux sur la forme, peut-être n’a-t-il pas complètement tort sur le fond. Je m’explique.

Jeudi dernier, j’ai eu la chance de participer à la présentation des résultats d’une étude franco-québécoise sur l’usage et la gestion des données par les villes. Cette étude a été réalisée conjointement par l’observatoire français Data Publica, l’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’IA et du numérique, le Collaboratoire Uni-Cité de l’ENAP et la firme IPSOS. Tout cela grâce aux précieux concours des Fonds de recherche du Québec et de l’équipe du Bureau du scientifique en chef du Québec.

Cette étude nous apprend, entre autres, que les villes du Québec sont inégales face aux données. Bien que les grandes villes aient encore du chemin à faire en ce domaine, les moyennes, mais surtout les petites villes, sont complètement démunies devant cette tâche titanesque. Elles veulent utiliser davantage les données pour améliorer leur prise de décision et les services aux citoyens, mais elles manquent cruellement de ressources et d’informations pour y parvenir.

Vous vous demandez à quoi peuvent bien servir des données dans l’amélioration de la performance des gouvernements de proximité. Disons, par exemple, que vous avez des capteurs connectés sur tout votre réseau d’aqueduc et d’égouts. Vous êtes alors en mesure de savoir, en temps réels, l’endroit les fuites, l’état de détérioration de la conduite, le débit d’usage de l’eau et la pression des fortes pluies. Il s’agit donc de données très précieuses pour mieux planifier vos travaux futurs.

Allons plus loin. Vous installez des capteurs photographiques sur les balais de rue. En nettoyant la ville, vous pouvez obtenir, en temps réel, l’état de la chaussée et des trottoirs. Ainsi, vous pouvez mieux planifier les travaux d’entretien et de réfection. Croisez ces données avec celles des infrastructures souterraines et vous aurez un système intelligent de prise de décisions qui vous fera gagner temps, argent et qualité de vie grâce à une meilleure planification globale de réfection des infrastructures.

Peu de villes peuvent se permettre ces systèmes, qui nécessitent beaucoup d’argent et de ressources humaines. C’est ce que disent les moyennes et petites villes du Québec dans l’enquête publiée la semaine dernière. Quoi faire, alors, pour leur permettre d’espérer participer à la grande marche de la transformation numérique ? Si j’étais sarcastique, je vous dirais de ne surtout pas s’inspirer de la Société de l’assurance automobile du Québec.

Le Québec regorge de chercheurs qui peuvent accompagner ces municipalités. Bonne nouvelle : nous avons la chance d’avoir un réseau d’universités et de collèges bien implanté dans toutes les régions. D’ailleurs, pour bénéficier d’un support supplémentaire, certaines villes ont décidé de se doter d’un scientifique en chef à l’instar du gouvernement québécois. Victoriaville vient de le faire, et Longueuil s’apprête à suivre. À Montréal, le dossier est prêt depuis quatre ans, mais la Ville tarde à aller de l’avant.

La mutualisation des données et des outils numériques peut aussi être une solution. Autre bonne nouvelle : pour les villes qui n’ont pas les moyens d’avoir les infrastructures numériques nécessaires, le gouvernement du Québec a mis à leur disposition un portail numérique pour déposer leurs données en ouverture publique. En plus d’offrir une belle occasion de transparence démocratique, cela leur permet d’obtenir des données qui peuvent leur servir. Ces données peuvent aussi servir aux chercheurs et aux entreprises qui veulent générer de l’innovation. Tout le monde y gagne !

Cependant, les villes tardent à utiliser le portail par manque de connaissances et de formation. À ce propos, les chercheurs peuvent aussi leur venir en aide, tout comme l’Union des municipalités du Québec et la Fédération québécoise des municipalités. Les grandes villes pourraient aussi mutualiser leurs ressources avec ces villes et même travailler avec des MRC pour rendre plus efficace le lien avec les plus petites villes.

Devant cette déferlante d’outils numériques qui utilisent les données massives, les moyennes et petites villes jouent à armes inégales avec les entreprises privées. Ces dernières sont des partenaires essentiels dans la transformation numérique des gouvernements de proximité. Ceux-ci doivent cependant être en mesure de contrôler et de gérer les outils numériques qui leur sont offerts. Pour leur venir en aide, les mots-clés sont mutualisation, recherche et partage des connaissances. Finalement, on doit favoriser l’innovation ouverte.

Cela me ramène à la fameuse déclaration de ce maire cité plus haut. Si une ville n’est pas en mesure de gérer et d’utiliser les données sur son territoire, comment voulez-vous qu’elle puisse répondre aux questions des journalistes une fois ces données devenues publiques ? Les villes ne sont pas seulement inégales face aux données, elles le sont aussi sur leur capacité à être plus transparentes.

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