Une belle lucidité
En juin 2013, le Parti libéral du Québec (PLQ) avait eu l’idée de recourir aux services de Jean-Luc Mongrain pour animer un peu la discussion à son conseil général. Philippe Couillard rencontrait les militants libéraux pour la première fois depuis qu’il avait été élu chef et il projetait « la plus grande entreprise de renouveau du parti depuis 30 ans ».
Égal à lui-même, M. Mongrain n’avait pas tardé à montrer son esprit caustique. Avisant un groupe de jeunes, il avait demandé à l’un d’eux : « De nos jours, c’est pas un peu niaiseux pour un jeune d’être libéral ? »
Dix ans plus tard, la question n’a rien perdu de sa pertinence, mais elle ne se pose manifestement pas dans le cas de la nouvelle présidente de la Commission-Jeunesse du PLQ, Laurence Lefebvre, qui a démontré une belle lucidité dans l’entrevue qu’elle a accordée au Devoir la semaine dernière. On ne peut certainement pas l’accuser de porter des lunettes roses.
« On est dans une période où l’on stagne énormément », a-t-elle reconnu d’emblée. « Le fait aussi qu’on ne sait plus c’est quoi être libéral en 2023, ça ne nous aide vraiment pas. » Dire que les libéraux se cherchent est un euphémisme, mais on n’entend pas souvent quelqu’un exprimer aussi clairement le désarroi dans lequel le parti est plongé.
La Commission-Jeunesse a parfois brassé sérieusement la cage libérale dans le passé. Il est à souhaiter que la lucidité de Mme Lefebvre soit contagieuse. En janvier dernier, le chef intérimaire du parti, Marc Tanguay, avait expliqué la défaite historique subie le 3 octobre par la complexité du message libéral, qui avait dérouté les électeurs. En réalité, ils ont surtout vu qu’il changeait continuellement selon la clientèle visée et ils n’ont pas apprécié. La complexité et la duplicité sont des choses bien différentes.
Reconnaître l’existence d’un problème est assurément un bon début, mais cela ne suffit pas à le régler. Les libéraux affichent un bien triste bilan en matière de renouveau. Depuis 20 ans, la réflexion se borne à remâcher l’opuscule sur les « valeurs libérales » que Jean Charest avait commandé à Claude Ryan. Comme si le temps s’était arrêté au PLQ.
Les bonnes intentions que M. Couillard avait manifestées en 2013 n’ont pas eu les suites qu’on aurait pu espérer. Il était clair que l’animation du parti ne l’intéressait pas. Trois ans plus tard, le président sortant de la commission politique, Jérôme Turcotte, avait fait un constat dévastateur.
Il constatait que les militants désertaient un parti qui était devenu « un éteignoir à l’engagement citoyen ». Dans un rapport remis à la direction de la formation, il avait lancé un avertissement qui s’est révélé prémonitoire : « À défaut d’agir avec force, il est clair que la vulnérabilité de notre parti aux intempéries électorales n’ira qu’en croissant. »
Comme si la dégelée de l’automne dernier n’avait pas suffi, les résultats de la récente élection partielle dans Saint-Henri–Sainte-Anne ont donné la mesure de sa décrépitude. Il ne faudrait surtout pas qu’un autre de ses députés décide de jeter l’éponge en cours de mandat.
Chaque fois que le chef d’un parti d’opposition quitte son poste, les opinions divergent sur la rapidité avec laquelle il convient de lui trouver un successeur. Faut-il laisser les militants redéfinir les grandes orientations du parti avant de choisir un nouveau chef, ou déclencher rapidement une course où les différents candidats animeront cette réflexion ?
La nouvelle présidente de la Commission-Jeunesse est d’avis que les libéraux devraient élire un chef permanent le plus vite possible, alors que la direction du parti ne semble voir aucune urgence. Cela tombe bien parce qu’on ne se bouscule pas à la porte.
Historiquement, les libéraux n’ont rien gagné à attendre, bien au contraire. Claude Ryan et Dominique Anglade sont devenus chefs 17 et 19 mois respectivement après le départ de leur prédécesseur et n’ont jamais goûté au pouvoir. En 1970, Robert Bourassa avait été élu quatre mois après l’annonce de la démission de Jean Lesage. Dans le cas de Philippe Couillard, l’intérim avait été de six mois.
Les partis politiques ont sans doute un devoir de réflexion, mais M. Ryan ne se faisait pas d’illusions sur les motivations du parti qu’il avait dirigé. « Il n’a jamais fait mystère de l’importance prioritaire qu’il attache à la conquête du pouvoir. C’est d’abord en fonction de cet objectif que le PLQ s’intéresse aux idées, et non pour ce qu’elles représentent en elles-mêmes », avait-il déclaré en mars 1996.
Au bout du compte, ce sont moins les propositions de l’opposition que l’insatisfaction envers le gouvernement qui détermine le résultat d’un scrutin. M. Ryan avait fait un sérieux effort pour redonner un peu de tonus intellectuel à son parti, mais c’était peine perdue face à la popularité du gouvernement Lévesque. Inversement, même si le PLQ était devenu un « éteignoir », le pouvoir est tombé tout cuit dans l’assiette de Philippe Couillard simplement en raison de l’incurie du gouvernement Marois.