Les déficits d’Ottawa

Dans son budget déposé mardi, le gouvernement libéral est fortement attendu sur le terrain de la transition énergétique en écho à l’étoffé Inflation Reduction Act (IRA), adopté aux États-Unis. Aura-t-il les moyens de ses ambitions ?

Encore faut-il qu’il en ait l’ambition, diront certains. De passage à Québec, mercredi, la ministre des Finances, Chrystia Freeland, a été questionnée sur l’engagement réel du Canada en matière de transition énergétique. « On a pris des engagements et on va faire ce qu’on a promis, mais je veux dire aussi concernant nos ressources naturelles. C’est aussi important de comprendre qu’aujourd’hui le monde a besoin des ressources naturelles du Canada », a-t-elle répondu, selon les propos recueillis par La Presse canadienne. Elle a également évoqué le « grand défi auquel nos alliés européens ont fait face cet hiver », en se privant du gaz naturel russe. Il est « très important pour nous d’investir dans la transition verte, mais on a aussi une responsabilité d’aider nos alliés ».

Cette parenthèse étant refermée, l’agenda budgétaire d’Ottawa est plutôt garni. Mesures ciblées pour combattre l’inflation, hausse des dépenses militaires, extension de la Prestation dentaire canadienne, prolongement du remboursement de la TPS introduit l’an dernier, prolongement du complément de l’Allocation canadienne du logement, régime national d’assurance médicaments… Le menu est vaste. Il s’inspire des 27 engagements inclus dans l’entente entre le Parti libéral du Canada et le Nouveau Parti démocratique, dont plusieurs autres éléments de cet accord doivent en théorie voir le jour en 2023, rappelait la semaine dernière le collègue Boris Proulx.

Le tout est cependant à mettre dans le contexte selon lequel « notre capacité de dépenser n’est pas infinie », a reconnu Mme Freeland. Dans sa lecture de l’état des finances publiques fédérales publiée le 2 mars, le Directeur parlementaire du budget (DPB) a mesuré qu’en n’assumant aucune nouvelle mesure, le déficit budgétaire passera de 36,5 milliards au terme de l’actuel exercice financier à 43,1 milliards en 2023-2024, pour tomber à 8,7 milliards en 2027-2028. Le ratio dette/PIB passera de 41,8 % à 42,2 % en 2023-2024. S’il doit revenir à 38,1 % en 2027-2028 prévoit-il, le ratio demeurera tout de même plus élevé que celui de 31,2 % atteint en 2019-2020, avant la pandémie. Quant au service de la dette, et toujours en n’assumant aucune nouvelle mesure, le ratio va atteindre un pic à 11,5 % des recettes fiscales en 2023-2024, pour reculer à 10,3 % en 2027-2028, mais se maintenir bien au-delà de son bas niveau de 8,3 % en 2018-2019.

Ces projections font face à un risque important, soit celui d’un ralentissement économique plus important causé notamment par une escalade dans la guerre contre l’Ukraine et un resserrement monétaire excessif des principales banques centrales, souligne le DPB.

Ce gouvernement, qui nous a habitués à dépenser sans compter, devra donc cette fois passer du champagne à la bière, pour reprendre l’allégorie des économistes du Mouvement Desjardins.

Mais l’IRA s’ajoute à l’équation, et Ottawa est exhorté à y faire écho. L’enveloppe comprend 370 milliards de dollars américains et prévoit des incitatifs financiers musclés pour les investissements dans les technologies visant une réduction des émissions de gaz à effet de serre. Et qui ne sera pas sans exercer un pouvoir d’attraction sur les investissements dans les actifs à bas carbone. En réponse, « le gouvernement du Canada a introduit de nouvelles mesures modestes pour soutenir la transition énergétique dans son énoncé économique de l’automne 2022 et promis d’en inclure d’autres dans le budget de 2023 », ont rappelé les économistes du Mouvement Desjardins.

Dans un sondage mené par le cabinet KPMG Canada auprès de 505 entreprises canadiennes, il est rappelé au gouvernement fédéral l’annonce de nombreuses mesures fiscales dans les récents budgets qui sont toujours en suspens. Parmi elles, mentionnons des incitatifs pour les technologies propres, le captage, l’utilisation et le stockage du carbone, et l’énergie hydrogène propre. Les entreprises veulent que le gouvernement emboîte le pas aux États-Unis en investissant dans des allégements fiscaux afin qu’elles puissent soutenir la concurrence dans l’économie verte. En d’autres mots, qu’il utilise efficacement le régime fiscal pour stimuler la productivité et appuyer la décarbonation et les technologies propres. Et qu’il appuie le financement pour élaborer des technologies climatiques conçues au Canada et abordables.

Un autre déficit : le logement locatif

Dans la foulée, et avec un gouvernement plutôt accueillant en matière d’immigration, Ottawa fait face à un autre déficit majeur, celui des logements locatifs, écrivaient la semaine dernière les économistes de la Banque Royale.

L’an dernier, le nombre des immeubles locatifs du Canada a augmenté à son rythme le plus soutenu depuis 2014. Néanmoins, les taux d’inoccupation ont plongé à leur point le plus bas depuis 21 ans, soit à peine 1,9 % (loin d’un taux dit optimal de 3 %). La baisse totale de 120 points de base en 12 mois seulement « marque la plus forte diminution annuelle depuis plus de 30 ans. La concurrence acharnée pour les logements a aussi entraîné la plus forte progression annuelle de la croissance des loyers jamais enregistrée ».

Les objectifs d’immigration du Canada étant fixés à des niveaux records et l’accessibilité à la propriété restant tendue, les économistes de la Royale prévoient que le déficit de logements locatifs pourrait dépasser la barre des 120 000 d’ici 2026, soit quatre fois le niveau actuel.

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