Tous unis contre la «dépravation»
En Ouganda, pays anglophone d’Afrique de l’Est, le Parlement vient de voter une des lois les plus dures au monde contre les personnes homosexuelles.
Un pays où, comme dans beaucoup d’autres de ce continent, l’homosexualité était déjà réprimée par la loi… et dans la société en général. Mais ce nouveau texte, adopté mercredi par l’Assemblée législative de Kampala — 387 voix pour, deux contre — va plus loin que jamais.
Non seulement cette loi frappe d’interdit les « actes », passibles de dix ans de prison, mais le fait de se déclarer homosexuel ou d’être militant devient également un crime pouvant mener en prison. Journalistes et éditeurs seront poursuivis s’ils défendent les droits des homosexuels ou « encouragent l’homosexualité ».
Le texte doit encore recevoir l’approbation présidentielle. Yoweri Museveni est un célèbre autocrate à la tête, depuis presque 40 ans, de cet État de presque 40 millions d’habitants.
Londres et Washington condamnent la loi et adjurent le président d’y mettre son veto. À Londres, on déclare : « Bien que plusieurs pays, y compris sur le continent africain, évoluent vers la décriminalisation, voilà un geste profondément dérangeant qui va dans le sens inverse. »
Amnesty International qualifie la loi d’« épouvantable », en plus de souligner qu’elle est « formulée vaguement », ce qui ouvre la porte à tous les abus : « Loi profondément répressive qui institutionnalise la discrimination, la haine et les préjugés. »
Un veto présidentiel paraît peu probable. Museveni, la semaine dernière, a encore critiqué l’Occident sur ce thème : « Les pays occidentaux devraient arrêter de faire perdre du temps à l’humanité en tentant d’imposer leurs pratiques au reste du monde. »
Si on regarde la cartographie mondiale des législations anti-homosexuelles, on y trouve essentiellement l’Afrique — y compris le Maghreb — et les pays arabo-musulmans.
Quelque 70 pays ont des lois qui répriment, à divers degrés, l’homosexualité. Les textes varient beaucoup, la dureté dans l’application également. Certains pays n’ont pas de lois détaillées, mais répriment durement (Égypte) ; d’autres en ont toujours, mais ne les appliquent pas (Liban).
Environ la moitié des 54 pays d’Afrique ont des lois répressives. Et presque la moitié des pays qui sanctionnent l’homosexualité sont en Afrique : Égypte, Tunisie, Kenya, Nigeria, Tchad, Érythrée… Avec des exceptions comme l’Afrique du Sud, où même le mariage homosexuel est légal.
Au Moyen-Orient comme en Afrique, la répression est sociale et populaire autant que légale : Iran, Irak, Arabie saoudite, Yémen… L’islam contre l’homosexualité, Allah contre l’homosexualité, la loi contre l’homosexualité.
En Asie, peu d’États répriment ouvertement. Un pays comme Singapour vient d’abolir, en décembre, ses lois « anti-sodomie ». Lois d’ailleurs souvent héritées de l’Empire britannique… comme celles que l’on trouve en Afrique. En fait, l’Ouganda reprend et durcit des lois victoriennes : quelle ironie !
Pourtant, on associe souvent, en Afrique et ailleurs, la permissivité et la défense des droits des homosexuels… à de l’impérialisme occidental. Car il y a aussi un aspect idéologique tordu dans tout ce débat.
Sans aucun fondement, beaucoup considèrent, en Afrique, l’homosexualité comme venant de l’Occident maléfique, comme une dépravation propre aux pays du Nord impérialistes : la libéralisation des moeurs irait de pair avec la domination économique et idéologique !
Et qui, en ce moment, agite justement ce discours pour marquer des points sur le continent noir ? En diffusant, dans des pays comme le Mali ou la République centrafricaine, une propagande délétère contre « l’Occident dépravé » ? La Russie de Vladimir Poutine !
Dans ses diatribes, il ne manque jamais de pourfendre le mariage homosexuel et la dépravation des moeurs occidentales… tout comme son acolyte et idéologue, le patriarche Kirill. Dans un de ses passages les plus délirants, le président russe a même affirmé qu’en Occident, « la pédophilie est devenue la norme ».
Ce discours ultra-conservateur et homophobe — qui va de la Russie à l’Afrique en passant par le Moyen-Orient — devient comme un marqueur sociétal, civilisationnel, pour discréditer l’Occident décadent, toujours coupable, forcément coupable, de tous les maux du monde.
François Brousseau est chroniqueur d’affaires internationales à Ici Radio-Canada. francobrousso@hotmail.com