Hommages à Gilles Proulx

Dans sa Vie des douze Césars, le haut fonctionnaire Suétone, donné pour l’un des premiers historiens, propose de courtes biographies des maîtres du monde romain, de Jules César à Domitien. Toute une partie de son livre est consacrée à Caïus Caligula. De lui, des images d’excès, de folies et d’horreurs nous viennent spontanément à l’esprit. Pourtant, Suétone en parle bien autrement.

Il le présente comme un être auréolé de l’affection populaire. Ses propos, même les plus outranciers, Caligula peut les tenir, rappelle Suétone, avec l’assentiment général. Même le Sénat le soutient. L’historien prête en outre à Caligula de hautes vertus morales. N’a-t-il pas banni de Rome les inventeurs de certaines débauches ?

Au milieu de ce récit fort élogieux, Suétone s’arrête. Il s’arrête tout net. Et il laisse tomber ceci : « J’ai parlé jusqu’ici d’un prince ; je vais maintenant parler d’un monstre. »

Je suis déjà allé parler au micro de Gilles Proulx. Il était, à l’époque, connu comme le roi des ondes à Montréal. Les autres barons de la radio se nommaient André Arthur et Pierre Pascau.

Aurais-je dû m’inquiéter d’aller mettre le nez de ce côté ? Proulx n’a jamais hésité à traiter les uns et les autres de charognards, d’ordures, de sous-merdes, de caves, d’eunuques, de dégénérés, tout ce que vous voulez, dans d’intarissables litanies de jurons de haine carabinée qui n’ont jamais eu la musicalité rythmée et amusante de celles proférées par le capitaine Haddock.

Allez savoir pourquoi, je n’étais pas spécialement anxieux à l’idée de me retrouver devant ce personnage sulfureux. À son micro, nous avions parlé d’histoire. Gilles Proulx ne m’avait pas coupé la parole. Je m’attendais à subir un de ses one man shows, gonflé à l’hélium jusqu’à l’éclatement de la raison. Tout au contraire, il s’était montré attentif. Il m’avait relancé, avec tact et précision.

L’émission se concluait avec notre entretien. Un Gilles Proulx très aimable, gentil même, m’avait chaleureusement remercié de son ton le plus théâtral, avec son invraisemblable affectation de la diction. Puis, il m’avait accompagné jusqu’à la sortie, s’en allant du même pas lui aussi. Nous avions marché quelques instants ensemble, sur le trottoir, près de la station, avant de nous quitter pour de bon. Merci. Au revoir. Bonsoir. Bref, rien à redire sur cet homme charmant, courtois, empreint de vieilles manières.

Je vous ai parlé jusqu’ici d’un prince… Ai-je besoin de vous parler du monstre ?

Depuis des décennies, sur toutes les tribunes, Gilles Proulx parle des Québécois comme d’un peuple de caves et d’insignifiants. Le fait d’endurer cela depuis si longtemps ne dit-il pas au moins quelque chose de notre état d’hébétude collectif face à des gens pareils ?

Dans un documentaire, la réalisatrice Alanis Obomsawin fait entendre les éructations de Gilles Proulx pendant la crise d’Oka. Il faut revoir ces femmes et ces enfants autochtones dont le convoi est lapidé dans la foulée par des jets de pierres. L’an passé, l’animateur et écrivain Michel Jean faisait observer au Devoir que Gilles Proulx continue d’entretenir des préjugés grossiers à l’égard des Autochtones au micro de QUB radio, sans pour autant que son hôte se donne la peine de lever même le petit doigt pour recadrer ses propos.

La critique chez lui, dès lors qu’elle implique une femme, atteint souvent les bas-fonds des égoutiers. Proulx était allé jusqu’à qualifier à la télévision une victime de viol, retrouvée à moitié morte, de « petite garce », de « petite niaiseuse », de « petite vache ». Il faut l’entendre désormais parler de la mairesse Valérie Plante !

L’émission Enquête avait révélé en 2012 que Proulx était de ceux qui avaient cru bon de payer pour obtenir un diplôme d’études supérieures bidon. Cette fausse attestation d’études lui avait été décernée par une université américaine, qui l’était tout autant, sans qu’il en éprouve spécialement de la gêne.

Dans ses livres d’histoire, qui se veulent populaires, mais qui sont au mieux populistes, Gilles Proulx avance à grandes enjambées dans les ornières toutes tracées d’un roman nationaliste. Il rechique pour ses lecteurs des propos d’une autre époque, sans jamais se donner la peine de les confronter à la rigueur de la méthode historique et des savoirs actualisés. Si bien que, tant qu’à faire, il vaut encore mieux relire les sources datées qu’il paraphrase, les Lionel Groulx, Michel Brunet et autres Robert Rumilly.

Qui peut s’imaginer aujourd’hui qu’il a été employé, durant des années, comme chargé de cours par l’Université de Montréal et qu’il ait obtenu, chemin faisant, quantité de prix pour « sa contribution au développement du journalisme » ? La figure de Gilles Proulx exprime bien quelque chose qui a mal tourné dans notre belle société.

Lui-même un ancien candidat du Parti québécois, il affirme qu’il faut se débarrasser des députés de Québec solidaire comme s’il s’agissait de « gangrène ». Ses mots, comme toujours, vont loin. Dépassent-ils pour autant sa pensée ? Le premier ministre du Québec, en tout cas, a cru bon de les condamner. Et Gabriel Nadeau-Dubois, en réaction, s’en est félicité. Tandis qu’il est question des paroles d’une tête en l’air et des étourdis qui lui donnent encore du crédit, il n’est pas question de la gestion de l’État.

Gilles Proulx, depuis toujours, fait diversion. Et parler des excès de tous les Gilles Proulx, au fil de l’actualité et à coeur de journée, est toujours plus facile que de régler des questions de fond.

Chacun sait pourtant que les gueulards et les moulins à paroles n’écrivent leur nom que dans les vents de l’histoire. S’ils n’en continuent pas moins d’être entendus, c’est qu’ils rapportent de l’argent à ceux qui les soutiennent. Ce sont eux, surtout, qui mériteraient d’être questionnés.

Il vaut la peine de se sortir le nez des buzz en série. La vie et son avenir se jouent ailleurs que chez tous les hargneux qui s’amusent à jouer, à la petite semaine, hier comme aujourd’hui, de pitoyables incarnations de Caligula.

À voir en vidéo