Les parents pauvres

Le premier ministre Legault s’est employé à noyer le poisson quand Paul St-Pierre Plamondon lui a demandé, à la lumière des informations contenues dans les documents budgétaires publiés mardi, comment il pouvait accepter qu’au cours des dix prochaines années les universités de langue anglaise se partageront 60 % des dépenses d’infrastructures consacrées à l’enseignement supérieur.

M. Legault a bien tenté de faire dévier le sujet en accusant le PQ de prendre le contre-pied de la position de René Lévesque sur l’accès au cégep anglais, mais il demeure que les investissements dans les infrastructures représenteront 28 500 $ par étudiant à McGill et 357 $ à l’UQAM.

Depuis toujours, les ressources mises à la disposition des universités anglo-québécoises sont disproportionnées par rapport au pourcentage d’anglophones vivant au Québec, mais aucun gouvernement n’a osé s’attaquer à cette iniquité, de peur d’être accusé de persécuter la communauté anglophone. Peu importe le parti au pouvoir, le sujet est tabou.

Les infrastructures ne sont pourtant que la pointe de l’iceberg. En février 2013, le chef de la défunte Option nationale, Jean-Martin Aussant, et son ex-collègue Pierre Curzi, qui avait claqué la porte du PQ en même temps que lui, avaient rendu publique une étude qui démontrait que les universités anglophones recevaient aussi une part démesurée des fonds de recherche et des dons privés, sans compter le grand nombre d’étudiants étrangers qui les fréquentent à grands frais.

Au total, elles accaparaient 25 % de l’ensemble des étudiants au Québec et près de 30 % du financement, alors que la communauté anglophone représentait 8,3 % de la population québécoise.

Le financement des universités était au coeur du débat sur les droits de scolarité au Sommet de l’enseignement supérieur tenu la semaine suivante à l’initiative du gouvernement Marois, mais le problème de la répartition inéquitable des sommes qui leur étaient allouées n’avait pas été soulevé.

Le chercheur Frédéric Lacroix y a consacré un chapitre de son livre Pourquoi la loi 101 est un échec ? (2020), et il est revenu sur le sujet l’année suivante dans un article publié dans L’Action nationale sous le titre « Au Québec, les universités anglaises sont favorisées ».

Les subventions que le gouvernement du Québec versait en 2020-2021 pour chaque étudiant, plus précisément l’équivalent d’un étudiant à temps plein (EETP), totalisaient 7048 $ du côté francophone et 5453 $ du côté anglophone, après rajustement en fonction des revenus tirés des frais imposés aux étudiants internationaux ou canadiens non résidents.

En revanche, les fonds provenant des organismes fédéraux, notamment les subventions à la recherche, avantagent nettement les universités anglophones. En 2017-2018, Ottawa leur a versé 2663 $/EETP, alors que les francophones ont eu droit à 1430 $/EETP.

Toutes sources de revenus confondues, M. Lacroix a calculé que les établissements anglophones avaient reçu 16 095 $/EETP, par rapport à 12 507 $/EETP pour les établissements francophones, un écart de 28,7 %. « La politique de financement des universités du Québec ne cherche pas vraiment à atténuer le désavantage structurel considérable qui frappe les universités de langue française », avait constaté le chercheur.

Outre l’attractivité naturelle de l’anglais, un financement plus important permet aux universités anglophones d’offrir une qualité et un environnement plus attrayants aux yeux des étudiants étrangers, même francophones, et à bon nombre d’étudiants québécois. Pour être concurrentiels, les établissements francophones ont développé le réflexe de multiplier les programmes en anglais.

Si l’Université de Montréal ou Laval, dont la réputation est solidement établie, arrivent à rester dans le coup, les diverses composantes de l’Université du Québec ont plus de mal à suivre la parade, y compris l’UQAM, dont les effectifs ont connu une baisse importante au cours des dernières années. Les universités francophones sont les parents pauvres du système, mais toutes ne sont pas égales dans cette pauvreté.

Quand il était ministre de l’Enseignement supérieur dans le gouvernement Marois, Pierre Duchesne avait songé à modifier la formule de financement pour favoriser les universités qui accueillent le plus d’étudiants de première génération, c’est-à-dire ceux qui sont les premiers de leur famille à faire des études universitaires.

Selon un rapport du Higher Education Quality Council of Ontario, on retrouvait le taux le plus élevé (70 %) au Canada d’étudiants de première génération dans trois des composantes régionales de l’UQ (Abitibi, Chicoutimi, Rimouski). Sans surprise, McGill avait le taux le plus bas (20 %).À l’Université de Montréal et à l’Université Laval, il était de 50 %.

Si M. Duchesne avait donné suite à son projet, on l’aurait assurément accusé d’avoir trouvé un moyen détourné de pénaliser les universités anglophones, alors que leurs vis-à-vis francophones le sont depuis toujours.

Il existe sans doute d’autres façons d’instaurer une certaine péréquation au sein du réseau universitaire québécois, mais encore faut-il en avoir la volonté. C’est très bien de vouloir réduire l’écart de richesse avec l’Ontario, mais il y a des rattrapages plus urgents. Celui-là contribuerait d’ailleurs grandement à satisfaire l’obsession de M. Legault.

À voir en vidéo