Faire double emploi

II y a l’illusion de richesse et il y a au-delà. La hausse du coût de la vie étant ce qu’elle est, ils sont toujours plus nombreux à occuper un second emploi, voire à s’activer dans l’économie des « petits boulots » à la demande.

De sondage à sondage… Celui du spécialiste de l’impôt H&R Block Canada souligne que 28 % d’un échantillon représentatif de 1501 Canadiens déclarent accepter un travail à la demande pour augmenter leurs revenus. Ce pourcentage n’était que de 13 % dans l’édition 2022 de l’enquête. Pour 74 % de ces travailleurs à la demande, il s’agit d’une activité secondaire s’ajoutant à leur emploi principal. Plus précisément, l’enquête ajoute que 20 % ont accepté un travail à la demande pour augmenter leurs revenus au cours des 12 derniers mois, ce pourcentage atteignant 35 % chez les 18-34 ans.

Le tout est à mettre dans la perspective que « 85 % des Canadiens craignent que leur revenu ne suive pas le rythme de l’inflation ».

Dans un autre sondage réalisé pour TurboImpôt, l’on dit que 23 % des Canadiens greffent un petit boulot à leur emploi principal ; la majorité d’entre eux étant des jeunes. « Plus de la moitié [52 %] des Canadiens ayant un second emploi appartiennent à la génération Z et 34 % sont des millénariaux », précise le spécialiste de l’impôt en ligne. Dans cette enquête, 85 % des répondants (mais 95 % des membres de la génération Z et 91 % des millénariaux) ayant un emploi complémentaire affirment que l’augmentation du coût de la vie est un facteur important dans leur décision.

Question d’ajouter au ressenti à l’égard de l’inflation, ils sont nombreux à évoquer une incompréhension des implications fiscales du travail à la demande (23 % dans le sondage de H&R Block, 40 % des membres de la génération Z dans celui de TurboImpôt). « L’étude révèle que bon nombre de ces travailleurs à la demande sont tentés de ne pas déclarer tous leurs revenus, car la spirale du coût de la vie exerce une pression sur leur situation financière », écrit H&R Block. Ainsi, 49 % se disent prêts à risquer de ne pas déclarer « tous » leurs revenus complémentaires, dont 44 % prendraient le risque de n’en déclarer « aucun ».

Situation financière difficile

Ces affirmations contrastent beaucoup avec les données sur la situation financière des Canadiens. Du moins, en surface. Ainsi la dernière lecture de Statistique Canada indique que sous l’impulsion des transferts gouvernementaux, la croissance du revenu disponible des ménages (+3 %) a été près du double de celle de leur consommation (+1,6 %), ce qui a porté le taux d’épargne à 6 % au quatrième trimestre. Soit à un niveau nettement supérieur au taux de 2,8 % enregistré au cours du quatrième trimestre de 2019, et au-dessus du taux moyen de 3,5 % observé au cours des dix années ayant précédé 2020.

Mais derrière la façade, on observe que cette hausse du revenu a aussi permis d’abaisser la dette des ménages sur le marché du crédit en proportion du revenu disponible, qui est tombé à 180,5 % à la fin de 2022, comparativement à 184,5 % à la fin de 2021. Cela demeure tout de même le taux le plus élevé du G7. Surtout, si les emprunts sur le marché du crédit en 2022 étaient de 14,2 % inférieurs à ceux de 2021, ils étaient 79 % plus élevés que ceux enregistrés en 2019.

28 %
C’est le pourcentage des 1501 Canadiens d’un échantillon représentatif qui déclarent accepter un travail à la demande pour augmenter leurs revenus.

À l’actif, à la fin de 2022, la valeur nette du secteur des ménages était de 4,7 % inférieure à celle affichée en 2021. Un tiers des hausses du patrimoine enregistrées en 2021 a fondu, calcule Statistique Canada, reflétant en cela le recul des marchés boursiers, obligataire et immobilier. À elle seule, la valeur totale des biens immobiliers résidentiels était de 6,8 % inférieure à celle du début de l’année (mais pour demeurer tout de même de 32,8 % supérieure à celle de la fin de 2019, faut-il ajouter).

Le tout est à mettre dans le contexte d’une hausse de 400 points de base du taux directeur de la Banque du Canada l’an dernier (de 425 points à 4,5 % si on ajoute l’augmentation de janvier). Les paiements d’intérêt continuent ainsi d’augmenter rapidement.

Le ratio du service de la dette des ménages, qui correspond au total des paiements obligatoires du capital et des intérêts en proportion du revenu disponible, atteignait 14,3 % au quatrième trimestre. Il est attendu que ce poids va accaparer 16 % du revenu disponible d’ici la fin de l’année. Un record ! Au quatrième trimestre, la croissance du revenu disponible des ménages avant les paiements d’intérêts (+3,8 %) a été plus que contrebalancée par une autre hausse importante des paiements de la dette (+4,4 %).

L’agence fédérale retient que « les paiements d’intérêts ont augmenté de 14,1 % du troisième trimestre au quatrième trimestre, dépassant l’augmentation record enregistrée au troisième trimestre […] Par rapport au quatrième trimestre de 2021, ils se sont accrus par une marge record de 45 %. »

Dans une étude publiée le mois dernier, Nathan Janzen, économiste en chef adjoint de la Banque Royale, soulignait que si l’épargne excédentaire de quelque 250 à 300 milliards accumulée lors de la pandémie ne s’est pas érodée, sa répartition est devenue fortement asymétrique. Il reprenait les données de Statistique Canada indiquant que l’épargne moyenne par ménage parmi les 40 % de personnes ayant les revenus les plus faibles, déjà négative au premier trimestre de 2020, était inférieure de 12 % de ces niveaux au troisième trimestre de 2022 en raison de l’augmentation du coût de la vie. À titre de comparaison, l’épargne des 40 % de personnes ayant les revenus les plus élevés a augmenté de 28 % pendant la même période.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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