Devenir un (vrai) mec

Il faudrait être occupé à se vernir les ongles en rose pour ne pas voir l’éléphant dans la pièce. Lorsqu’on évoque des investissements en santé mentale après plusieurs tragédies violentes, jamais on ne souligne la détresse masculine et ses multiples déclinaisons, y compris les diktats de la virilité ordinaire qui mènent à la toxicité.
Même le gars de base commence à trouver la cravate étouffante. Il souffre lui aussi des effets délétères de cette figure imposée, qu’il soit hétéro, queer, trans ou gai, il ou iel. Je le sais, j’élève (encore, oui) un garçon de 19 ans qui tente d’échapper à ces archétypes rigides et s’identifie davantage à Timothée Chalamet qu’à Javier Bardem dans le film Dune.
Le monde semble avoir besoin de plus de douceur que de muscles, de plus d’empathie que de camions/autobus-béliers. La psychiatre Marie-Ève Cotton relevait la semaine dernière qu’un des facteurs importants de risque de violence est d’être un homme de moins de 40 ans.
Depuis quelque temps, je reçois une quantité impressionnante d’ouvrages sur les mecs. Ils ne vont pas super bien, on dirait. Pourtant, le monde leur appartient. Sur les dix personnes les plus riches au monde, les neuf premières sont des hommes, Bernard Arnault en tête, suivi par Elon et Jeff.
Dans ma pile d’essais « boys don’t cry », des livres récents : Cocorico. Les gars, faut qu’on se parle de Mickaël Bergeron, Tu seras un nouvel homme mon fils ! Se libérer des injonctions qui pèsent sur l’identité masculine de Bernard Chaumeil, Colère, peur et joie. Accompagner mon garçon dans ses émotions de la Dre Marie-Claire Sancho, La masculinité antitoxique. Ce que tout homme bienveillant devrait savoir de Michel Dorais, On ne naît pas mec. Petit traité féministe sur les masculinités de Daisy Letourneur. Il manque aussi La crise de la masculinité de Francis Dupuis-Déri (en 2018). Ça commence à ressembler à un complot. Dommage que les gars lisent moins que les filles.
Santé mentale ou éducation ?
Le sociologue de l’intimité et de la sexualité Michel Dorais éduque les jeunes participants d’Occupation double sur les comportements toxiques. L’auteur de 69 ans vient tout juste de publier La masculinité antitoxique, où il interpelle les gars de 18 ans et plus par un « Les gars, il faut qu’on se parle ». Il s’est adressé à la commission parlementaire de la culture et de l’éducation cette semaine sur la masculinité toxique, au hockey junior notamment.
« Et nous sommes dans une société progressiste au Québec ! me dit-il. Il faut aller plus loin que la santé mentale. Il faut des programmes pour aider les gars, des groupes d’entraide, des mentors, former les coachs, éduquer dès le primaire, mieux socialiser les gars, les encourager à parler de leur vulnérabilité, à développer une introspection. »
Vaste programme. « Au Québec, ajoute Michel Dorais, le féminisme et le mouvement LGBT ont eu un impact positif sur la condition masculine. » Néanmoins, écrit-il : « La toxicité a longtemps passé pour une expression naturelle de la virilité. » Le modèle hégémonique dominant demeure le gars qui ne se livre pas, cache ses fragilités, n’a pas ou peu d’amis.
Les idéations suicidaires, la perte de contrôle de soi, la colère incontrôlée, la détresse, les dépendances, le recours à la violence contre soi ou contre autrui ne sont que quelques-unes des solutions masculines plutôt catastrophiques, malheureusement courantes face au stress et aux angoisses que ressentent les hommes.
Dorais mentionne une étude dans son essai qui révèle que 85 % des hommes préfèrent régler leurs problèmes seuls et que les deux tiers ne veulent même pas en parler. Personnellement, je doute que ces mêmes gars achètent un livre sur la masculinité antitoxique…
Mon ami Simon, la trentaine dynamique et sportive, passe parfois pour gai, car il parle volontiers de ses émotions et d’amour. Il me confie que les filles le « friendzonent » (on reste amis ?) parce qu’il sourit, qu’il n’a pas de tatouages et qu’il ne pue pas. Mickaël Bergeron a consacré un chapitre au phénomène dans son livre Cocorico. Les filles sont influencées elles aussi par ces archétypes hyper clichés à la OD.
J’ai invité Simon à voir la pièce Pisser debout sans lever sa jupe d’Olivier Arteau, un phénomène théâtral plutôt baroque qui secoue les stéréotypes masculins. On y parle abondamment du problème d’être autre chose qu’un gorille barbu avec un six-pack, d’être efféminé ou un gai à la gestuelle « festive ou aquatique ».
Pisser debout sans lever sa jupe
Olivier Arteau, l’auteur de 31 ans, fait le constat que gais, queer, trans ou femmes, l’imaginaire social nous propose de fantasmer sur des mecs hétéros alpha ; nous recherchons même leur approbation pour exister. « C’est un des pires machismes qui se perpétue entre les gais alors qu’on essaie d’accepter notre féminité. » Sa pièce Pisser debout sans lever sa jupe mériterait de devenir un film. Elle traite de l’époque au même titre que Lignes de fuite de la comédienne et autrice Catherine Chabot.
Et oui, Olivier croit qu’il est possible de créer de nouveaux modèles ; Jay du Temple en est un. « À la vitesse où le queerness a envahi le monde, j’ai bon espoir. En attendant, les gars parlent peu d’eux-mêmes. Ça descend rarement dans le cœur », constate Olivier, qui suggère des cours d’empathie à l’école, comme au Danemark.
De tous les ouvrages consacrés à l’homme, On ne naît pas mec, écrit par Daisy Letourneur, une femme trans et lesbienne, est mon favori. Elle envoie même balader le nice guy pas si gentil au fond, l’antithèse du bad boy, si prisé.
Ils tuent plus, beaucoup plus que les femmes. Pardonnez-moi d’être vieux jeu, mais ça ne me semble pas une bonne chose.
Non seulement elle nous explique (elle était barbue et pissait debout avant de devenir une femme) comment doit penser un mec, mais également les nombreux privilèges de genre qui découlent de cet avantage chromosomique.
Elle définit, dessins à l’appui, c’est quoi un (vrai) mec, posture, centre de gravité dans les épaules, air sérieux, « beau gosse, couillu, queutard, winner, viril ». Tout plutôt que d’avoir l’air gai. « Globalement, extérioriser ses émotions, c’est plutôt déconseillé. À part la colère, bien entendu, qui est l’émotion masculine par excellence. […] La colère obtient des résultats », écrit-elle.
Elle extrapole aussi trois causes à la violence masculine : une culture de la violence (films, jeux, guerres, etc.), une masculinité définie par la violence (prouver qu’on est un homme) et une position dominante.
Pensez Poutine comme modèle universel caricatural et vous brûlez. Je peux me tromper, mais il faudra davantage qu’une manucure pour changer cette culture.
Adoré la bande-annonce de la pièce Pisser debout sans lever sa jupe, passée trop rapidement au Théâtre d’Aujourd’hui, mais qui reviendra éventuellement à Montréal et à Québec. Allergiques au franglais et homophobes s’abstenir. bit.ly/3K1mTAA
Aimé l’article de France Culture sur la nouvelle masculinité et le livre d’Aline Laurent-Mayard, journaliste et autrice spécialiste du genre, Libérés de la masculinité. Comment Timothée Chalamet m’a fait croire à l’homme nouveau. Cet homme nouveau parlerait de ses émotions…
Si vous voulez saisir ce modèle androgyne déjà incarné par Bowie, mais qui entretient des amitiés avec des femmes de 60 ans et s’en réjouit (quelle audace !), c’est ici : bit.ly/3yYblaP
Visionné le film L’enfant, la taupe, le renard et le cheval, adapté du livre de Charlie Mackesy, qui vient de remporter l’Oscar du meilleur court métrage d’animation. On devrait montrer ce film dans toutes les écoles. Dans un cours sur l’empathie, ce serait un préambule fantastique. Sur Apple TV+. bit.ly/42AE5Uv
JOBLOG | «Extrapolations»
Cette semaine, avec le énième rapport catastrophe du GIEC, j’ai osé visionner la série d’anticipation Extrapolations du réalisateur Scott Z. Burns — il a aussi produit Une vérité qui dérange avec Al Gore, sur les changements climatiques et leur impact dans la vie des gens. Jusqu’ici (trois épisodes sur huit), les personnages touchés s’en sortent plutôt bien, ils ont de l’argent et le champagne coule encore. Mais Miami est inondée (la botte de caoutchouc est très tendance), on sacrifie des immeubles, on déplace les résidents et les feux de forêt ravagent la planète partout.
Extrapolations n’est pas une série dystopique, malheureusement. Elle nous projette en 2037 et se déroule sur 30 ans. Elle se base sur la science et les projections plus ou moins pessimistes des rapports du GIEC. Meryl Streep, Tahar Rahim, Marion Cotillard sont parmi les acteurs qui participent à l’aventure : l’être humain face aux conséquences de son ivresse et de son déni. Le 4e épisode sort vendredi. Je suis accro. Sur Apple TV+. bit.ly/3yW41MG