Sonia LeBel, la femme de la situation
Dans le huis clos du budget, le ministre des Finances est tout naturellement la vedette, et il ne fait aucun doute qu’Eric Girard est à la hauteur de sa fonction, même s’il pourrait faire un petit effort pour adopter un ton un peu plus excitant quand il lit son discours. Le ou la présidente du Conseil du trésor semble jouer surtout un rôle de soutien, même s’il est crucial dans les arbitrages qu’imposent les ressources limitées que tous se disputent.
Pendant cinq ans, de 1976 à 1981, Jacques Parizeau a cumulé les deux postes, mais René Lévesque a jugé qu’il en menait un peu trop large et lui a retiré le Trésor, ce que « Monsieur » a très mal accepté, au point de songer à démissionner. Personne n’a porté les deux chapeaux depuis.
Sous le gouvernement Couillard, Martin Coiteux assurait une surveillance étroite — pour ne pas dire jalouse — des deniers publics dans l’ombre de l’aimable Carlos Leitão, qui a récemment dit regretter le rythme brutal des compressions budgétaires, dont on a attribué la paternité à son ex-collègue, qui ne l’a jamais nié.
Vu le sort que les électeurs ont réservé au PLQ, le premier ministre Legault s’est bien juré de ne jamais remettre l’austérité à l’ordre du jour. L’actuelle titulaire du Trésor, Sonia LeBel, n’en joue pas moins un rôle qui pourrait être déterminant dans le succès ou l’échec du deuxième mandat de la CAQ. Et peut-être aussi pour la suite de sa propre carrière politique.
Dans son budget, M. Girard a mis le paquet pour donner à son collègue de la Santé, Christian Dubé, les moyens de faire prendre au réseau de la santé le « virage majeur » qu’il a promis, mais cela demeure conditionnel à cette « flexibilité » que Mme LeBel a reçu le difficile mandat de faire accepter aux syndicats du secteur public.
Même si les conventions collectives arrivent à échéance le 31 mars, les négociations en sont encore au stade préliminaire, où les parties tentent de se donner un rapport de force et de convaincre l’opinion publique de la justesse de leur cause.
La réaction syndicale au budget a traduit une déception de bon aloi. On a dénoncé à l’unisson les baisses d’impôt « irresponsables », mais de façon modérée, reconnaissant même « quelques mesures intéressantes », bien qu’insuffisantes. Pas de déchirage de chemise en règle.
La FIQ a bien déploré que ces dispositions soient insuffisantes pour répondre aux besoins du personnel du réseau de la santé, mais on se voulait préoccupé surtout du bien-être de la population, les syndicats ayant la fâcheuse réputation de penser d’abord et avant tout à leurs membres. Le budget ne contenait d’ailleurs rien qui puisse être présenté comme une provocation.
On ne perd sans doute rien pour attendre. Même si le premier mandat du gouvernement Legault n’a pas justifié leurs appréhensions, ceux qui s’inquiétaient de le voir reprendre le projet de réingénierie de l’État là où Jean Charest avait dû le laisser vont de nouveau sonner l’alarme.
Il y a des mots qui ont, sur les syndicats, le même effet que le drapeau rouge qu’on agite devant un taureau. Ainsi, parler d’efficacité, de performance ou, pire encore, de rationalisation a toujours été compris — non sans raison — comme un préavis de suppression de postes.
Dans le contexte de la pénurie de main-d’oeuvre, il n’est évidemment pas question de coupures. Mais demander plus de « flexibilité » est une façon à peine déguisée d’exiger des concessions, d’autant moins digeste qu’elle est assortie d’offres salariales pour le moins décevantes.
Les négociations dans le secteur public se terminent rarement dans les embrassades. La plupart du temps, les syndicats se résignent la mort dans l’âme à signer une entente qu’ils tentent de présenter à leurs troupes comme une grande victoire, quand ils ne se voient pas imposer un règlement par décret, qui leur permet au moins de se poser en victimes. Inutile de dire que cela n’est pas la condition gagnante d’un renouveau enthousiaste.
Le premier ministre l’a souligné avec une insistance particulière mercredi : le tour de négociations 2023 « va être très, très, très important ». Mme LeBel ne doit pas seulement faire en sorte que les conventions collectives soient renouvelées sans trop de perturbation, mais aussi convaincre les principaux intéressés que le secteur public, principalement les réseaux de la santé et de l’éducation, peut offrir un milieu de travail enrichissant à tous égards, sans quoi le plan de refondation de Christian Dubé et les chantiers de Bernard Drainville vont rapidement se retrouver au cimetière des réformes mort-nées.
Malgré ses indéniables talents, la présidente du Conseil du trésor devra se surpasser face à un front commun qui insistera pour que tous les employés du secteur, sans égard au poste qu’ils occupent, soient également dédommagés pour les méfaits de l’inflation. M. Legault ne cesse de répéter, pour s’en réjouir, que la pénurie de la main-d’oeuvre confère aux travailleurs un avantage sans précédent dans les négociations avec leur employeur. Il pourra en faire lui-même l’expérience.