La Fed, le doigt entre l’arbre et l’écorce
Les défaillances bancaires sont venues s’ajouter à l’équation. La conjoncture économique militait en faveur d’une hausse additionnelle de 50 points de base. La panique bancaire de la semaine dernière aurait commandé une pause, qui aurait eu l’effet contraire en renforçant la crainte d’un malaise plus systémique dans le monde bancaire américain. La Réserve fédérale a opté pour le compromis d’une augmentation de 25 points de base de son taux directeur, le poussant dans l’intervalle 4,75 %-5 %.
Le communiqué de la Réserve fédérale (Fed) se voulait plutôt laconique, voire robotisé. « Les récents indicateurs pointent vers une croissance modeste des dépenses et de la production. La création d’emplois a atteint un sommet au cours des derniers mois et se poursuit à un rythme robuste. Le taux de chômage est à un bas. Le taux d’inflation demeure élevé. Le système bancaire américain est solide et résilient. Les récents développements devraient se solder par un resserrement des conditions de crédit pour les ménages et les entreprises, et peser sur l’activité économique, l’inflation et l’embauche. La portée de ces effets est incertaine. Le Comité monétaire de la Réserve fédérale demeure attentif au risque de l’inflation. » Voilà pour l’essentiel du message.
La Réserve fédérale avait le doigt entre l’arbre et l’écorce avec l’apparition de tensions dans le système bancaire provoquées par la défaillance de trois banques régionales en moins de deux semaines et le rachat forcé d’un Credit Suisse qui vacillait pourtant depuis plus d’un an. Il lui fallait donc rappeler son double mandat de stabilité des prix et du plein-emploi. Et qu’à titre de prêteur de dernier recours, elle dispose d’autres outils que les taux d’intérêt sous la forme de programmes permettant d’assurer la liquidité dans le système financier et d’atténuer les risques d’instabilité bancaire à grande échelle.
Le marché du travail demeure tendu et l’inflation reste forte aux États-Unis, notamment dans le secteur des services excluant les composantes liées au logement. Dans ce segment, la pression sur les prix est essentiellement alimentée par la vigueur de l’activité économique, voire par la robustesse du marché du travail et, par extension, l’augmentation des salaires. Dans sa lutte contre la montée des prix, la Fed tente d’éviter que la persistance d’une hausse de l’inflation hors cible n’alimente une spirale salaire-prix. Le président de la Fed, Jerome Powell, a, à quelques reprises, fait référence à la mauvaise expérience de fin 1970-début 1980, l’institution ayant commis l’erreur de prendre une pause prématurée pour ensuite devoir resserrer plus fortement, rappelle Oxford Economics, pour qui une pause aujourd’hui aurait engendré un problème de communication. M. Powell se devait d’être constant.
D’autant que les tensions financières auront pour effet d’accentuer l’impact du resserrement monétaire et de la détérioration des conditions et du coût de crédit, a prévenu lundi la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, une lecture reprise mercredi par la Fed. Oxford Economics abonde dans le même sens, évoquant une restriction des pratiques de prêt venant peser sur la disponibilité du crédit et plomber l’économie américaine. Déjà que l’activité économique doit ressentir cette année le plein effet de l’austérité monétaire amorcé en mars 2022. Le modèle de la firme d’analyse calcule que l’impact du resserrement soudain des conditions de crédit atteint son pic trois mois plus tard. Et si une récession modérée au deuxième semestre reste son scénario de base, ce stress additionnel, en venant en quelque sorte complémenter le travail de la Fed, pourrait se traduire par une contraction plus sévère.
Risque idiosyncratique
Selon les données d’Oxford, les banques régionales campent à l’extérieur des 25 grandes institutions bancaires des États-Unis, les premières disposant, généralement, d’un actif de 150 milliards de dollars ou moins. Elles détiennent moins de 30 % de l’ensemble de l’actif du secteur bancaire, mais comptent pour 37 % des prêts bancaires. À ce chapitre, elles ont été particulièrement actives l’an dernier, accaparant 14 % de la croissance des prêts, contre 7 % pour les grandes banques. Dans le seul secteur de l’immobilier commercial, les banques régionales ont connu une hausse de 27 % de leurs prêts, contre 3,7 % pour les institutions de grande taille.
Question de compléter le portrait et toujours selon les données d’Oxford, sur les 4500 milliards de dollars de prêts dans le bilan des banques régionales, le gros, soit 2000 milliards, provient de l’immobilier commercial. Le reste est divisé essentiellement entre les quelque 900 milliards de dollars de prêts hypothécaires résidentiels, 800 milliards de prêts commerciaux et industriels et 500 milliards de prêts à la consommation.
Au demeurant, la rapidité de l’intervention du Trésor américain, de la Federal Deposit Insurance Corp. et de la Réserve fédérale, notamment l’injection la semaine dernière de plus de 300 milliards de dollars américains de nouveaux prêts aux institutions bancaires afin de stabiliser l’industrie et de l’alimenter en liquidités, abaisse la probabilité que la récente panique se transforme en une nouvelle crise financière. « Les banques régionales restent sous pression, mais l’événement des deux dernières semaines emprunte encore au risque idiosyncratique », résume Oxford. L’on entend, ici, un risque précis qui concerne une entreprise ou une institution en particulier, par opposition à un risque systémique.