Mettre la culture dans son cartable
L’autre soir, au Festival international du film sur l’art, j’ai vu projeter le lumineux documentaire Les oies de Jean Paul Riopelle de Jean-Luc Dupuis sur le défunt peintre automatiste, dont on souligne le centenaire. Des scènes tournées au Musée national des beaux-arts du Québec montraient un garçon littéralement ébloui parl’Hommage à Rosa Luxemburg. Son cri du coeur devant l’imagination, l’amour et la puissance des jets, des traits, des envolées de Riopelle traversait l’écran. Il n’avait jamais vu une oeuvre aussi belle, jurait que ces immenses panneaux peuplés d’oies demeureraient gravés en lui à jamais. Au théâtre Outremont, le public soupirait d’aise à son écoute.
Il y avait de quoi. Les nouvelles en provenance des écoles et des cégeps sont affolantes : péril fou pour la langue française ! Connaissances générales en chute libre ! Violence exacerbée. Enseignants débordés et souvent mal formés ! Tout le système pédagogique lance des signaux de détresse. Alors, quand un ado ou un préado se laisse toucher par la grâce de l’art, les amoureux de la culture applaudissent. Au nom du choc créateur capable de propulser des esprits sensibles hors d’un monde trop étroit pour eux.
Tant de questions se posent. Bientôt, les cerveaux auront-ils muté sous les crépitements de mille écrans ? Le paysage artistique deviendra-t-il uniquement virtuel ? Quelles muses inspireront les générations futures ? Rêvera-t-on demain en français au Québec ? Et quel français, au juste ? Les bouleversements sociaux font exploser des structures avant d’en construire de nouvelles. Chacun flotte en apesanteur. Pourtant, les lumières de l’art aident à vivre quand le sol tremble. Qu’elles rayonnent et vite en projets d’avenir !
On ne croise pas souvent les jeunes le soir au théâtre, au concert, au spectacle, devant un film d’auteur. Hors les sorties scolaires, au musée non plus. Oiseaux rares et combien précieux. Lorsque certains se pointent avec leurs amis devant une exposition ou une pièce, ça étonne et ça réjouit. Parfois les parents traînent à une activité culturelle des ados rouspéteurs ou pas. À la sortie, on entend le gars ou la fille discuter, s’allumer ou grogner de plus belle. Reste que le germe artistique pousse mieux en terreau fertile. L’accès à la culture vivante et inspirante coûte cher. Tous les parents ne sont pas fortunés, voire intéressés par l’art. Mieux vaut créer, comme qui dirait, des conditions gagnantes.
Alors, quand l’idée d’un passeport culturel pour les jeunes finit par germer dans l’espace politique, on applaudit. Ouvrir les portes des institutions artistiques afin d’initier la relève aux oeuvres nationales (et lui donner l’envie d’en découvrir des étrangères) s’imposait.
Mardi, dans son budget, le ministre des Finances, Eric Girard, annonçait donc la création du fameux laissez-passer numérique pour des biens et services culturels québécois à l’adresse des jeunes. Et ce, à prix modique, sans qu’il soit question de gratuité jusqu’à un certain seuil, comme en France ou en Belgique. Restera à découvrir les modalités de la formule. Chose certaine, elle défiera à son échelle la déferlante anglo-saxonne en musique comme ailleurs, colmatant au passage quelques lacunes scolaires, si faire se peut.
Sans régler l’ensemble du problème, loin de là. Tant d’initiatives doivent converger en visant les mêmes buts : former des esprits allumés et maintenir vivaces la culture et la langue communes sur les berges du Saint-Laurent. Vaste programme !
Telle est aussi la mission de la pub caquiste sur le faucon pèlerin en voie de disparition, assortie d’un discours en franglais dissonant. Susciter chez certains par l’absurde le désir furtif ou pas de hausser la qualité de leur langue serait le commencement d’un début. Va pour l’amusant concept ! Hélas ! La plupart de nos dirigeants maîtrisent mal la syntaxe, parsèment leurs discours de mots anglais et manquent souvent de culture. Assez pour réduire la portée des plus vertueux messages. Tant d’élus écorchent nos oreilles avec leurs phrases raboteuses. Les colonnes du temple se mettent à « shaker » sans s’ébranler dans la bouche du ministre Christian Dubé. Prêcher par l’exemple serait moins aisé, certes, mais plus honnête.
Aux yeux de certains, la protection du français au Québec devrait reposer uniquement sur de meilleurs remparts politiques. Mais tout est lié. Sans rehausser les niveaux de langue et de culture des jeunes comme des adultes, les décrets protectionnistes tombent dans le vide. Autre rêve : celui d’une concordance gouvernementale entre les actions, les paroles et les convictions profondes de ses membres. Combien parmi eux cherchent à mieux manier le français et à s’éclairer aux lumières artistiques en s’imposant comme modèles ? À quand le passeport culturel pour les élus ?