Soulager le mulet québécois?

Les fonctionnaires du ministère des Finances n’ont pas ménagé leurs efforts pour expliquer à quel point le contribuable québécois est écrasé par un fardeau fiscal qui fait de lui le mulet de l’Occident.

Les tableaux et les graphiques inclus dans les documents annexés au budget tentent de démontrer non seulement que le Québec est la province canadienne où l’impôt sur le revenu des particuliers est le plus élevé par rapport au PIB, mais aussi qu’il fait figure d’ogre fiscal face aux économies avancées de l’OCDE. On s’est cependant bien gardé de se comparer aux pays scandinaves, là où le souci de justice sociale est le plus développé.

Peu importe, le gouvernement Legault est bien déterminé à soulager le mulet. Dans son discours sur le budget, le ministre des Finances, Eric Girard, s’est dit fier d’annoncer « les plus importantes baisses d’impôt de l’histoire du Québec ».

Par un ingénieux amalgame des tranches de revenu allant de 20 000 $ à 98 000 $, on nous fait découvrir que, contrairement à ce que l’on a toujours cru, l’impôt serait moins progressif au Québec qu’en Ontario si l’on considère à la fois la fiscalité fédérale et provinciale.

Baisser les impôts est la chose la plus facile à faire pour un gouvernement. La question est de savoir si c’était la chose responsable à faire, outre donner suite à la promesse électorale de la Coalition avenir Québec.

Nulle part dans les documents budgétaires a-t-on tenté d’évaluer les avantages que le contribuable québécois retire des montants additionnels qu’il paie à l’État (qu’il s’agisse des garderies subventionnées, de l’assurance médicaments ou des frais de scolarité plus bas) et qui font en sorte qu’au bout du compte, son revenu disponible après impôts se compare avantageusement à celui de son concitoyen ontarien. Et plus encore si on tient compte du coût de la vie.

• • • • •

Que cette baisse d’impôt n’améliore pas le sort des deux millions de Québécois qui n’ont pas les moyens d’en payer ne trouble pas le ministre des Finances. C’est une question d’équilibre, explique-t-il, les plus démunis ayant eu leur tour l’an dernier. Dans leur cas, la réduction de l’écart de richesse semble moins prioritaire. Il compare son rôle à celui d’un trésorier de banque, et les pauvres n’ont généralement pas de compte en banque.

Certes, les 9,2 milliards de dollars que les baisses d’impôt totaliseront sur une période de cinq ans n’affecteront pas la capacité d’intervention de l’État puisqu’ils seront prélevés sur les transferts au Fonds des générations. « En aucun temps ni d’aucune façon la baisse ne se fera aux dépens des services publics du Québec », a assuré M. Girard.

À ceux qui s’inquiètent de la dette que les prochaines générations devront assumer, le ministre réplique que les versements au Fonds des générations connaîtront simplement « une croissance plus modérée ». C’est la même réponse qu’Ottawa sert aux provinces quand elles se plaignent que le Transfert canadien en santé (TCS) n’augmente pas à un rythme suffisant.

À l’instar de M. Girard, on peut très bien être d’avis qu’il n’est pas dramatique de reporter de quelques années l’atteinte des objectifs de réduction de la dette, mais on aurait pu choisir d’investir ces milliards dans les services publics, le règlement de la crise du logement ou encore la lutte contre les changements climatiques.

• • • • •

Pour la première fois depuis des lustres, le discours sur le budget ne faisait pas la moindre allusion aux transferts fédéraux, alors que le gouvernement Trudeau vient d’asséner une véritable gifle au Québec — comme aux autres provinces — dans les négociations sur le TCS.

Le ministre des Finances a inclus dans ses prévisions budgétaires le petit milliard additionnel qu’il a reçu, sans faire d’histoire. Tout au plus a-t-il murmuré en conférence de presse qu’il s’agissait d’une « somme modeste ».

On peut comprendre que le gouvernement Legault ne tienne pas à s’attarder sur cet échec cuisant, mais les Québécois n’en feront pas moins les frais. Grâce aux revenus additionnels que l’inflation a générés, la pingrerie fédérale ne l’a pas empêché de prévoir une hausse du budget de la santé de l’ordre de 7,7 % en 2023-2024, mais qui retombera à 2,1 % l’année suivante, alors que Christian Dubé peine déjà à déployer son plan de « refondation » du réseau. Il ne sera malheureusement plus le temps de piger dans le Fonds des générations.

À voir en vidéo