La promesse de baisse d’impôt de Legault

Le gouvernement Legault tiendra-t-il sa promesse de baisse d’impôt ? Un recul sur cet engagement électoral reviendrait à mal entamer un deuxième mandat, d’autant qu’il a été campé au sein d’une enveloppe plus large de bouclier anti-inflation. Mais il est vrai que la pandémie est venue éclairer crûment, voire exacerber, les nombreux problèmes et déficits dans l’offre de services du gouvernement, notamment en santé et en éducation. Et il y a cette récession qui menace. Place au choix !

Lors de la dernière campagne électorale, un gouvernement caquiste promettait de réduire d’un point de pourcentage le taux des deux premiers paliers d’imposition, qui sont actuellement de 15 % et de 20 %. La Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke (CFFP) chiffre à près de 1,9 milliard le coût de cette promesse pour l’exercice 2023-2024, une facture qui doit cependant être épongée par une réduction des versements au Fonds des générations.

L’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) a calculé que les personnes dont les revenus atteignent 100 000 $ pourront bénéficier d’un allègement fiscal de plus de 800 $ chaque année. En comparaison, les personnes gagnant un salaire de 50 000 $ économiseront 328 $ en contribution fiscale par an. La modification suggérée n’offrira aucun gain aux contribuables dont le revenu se situe en deçà de la première table d’impôt, ce qui représente 35 % de la population québécoise.

On pourrait également ajouter que le tout est à mettre dans la perspective d’une étude de la Réserve fédérale de Boston indiquant qu’aux États-Unis, la propension marginale à consommer passe de 97 % dans les quintiles de revenu disponible dits inférieurs, à 48 % dans le segment supérieur, un écart qui ne serait pas tellement différent au Canada. Sans oublier que cette tranche la plus faible de revenu consacre proportionnellement davantage de ressources à l’alimentation, au logement et aux autres dépenses courantes répondant à des besoins primaires — où l’inflation frappe le plus durement — qu’aux services et aux dépenses discrétionnaires.

Cela dit, alors que les revenus de l’État sont gorgés d’inflation, les particuliers et les ménages doivent composer avec une érosion de leur pouvoir d’achat sous le poids d’une hausse du coût de la vie supérieure à celle des revenus particulièrement ressentie sur les prix du logement et du panier d’épicerie. Sans oublier l’effet de récurrence de l’inflation, qui se vit en accéléré depuis le printemps 2021. Uniquement dans l’alimentation, le prix des aliments a augmenté de 11 % au Québec l’an dernier, selon un rapport publié par 26 chercheurs universitaires, et devrait croître encore de 5 à 7 % cette année.

Indexation décalée

 

Autre élément à considérer : l’indexation du régime d’imposition, qui repose sur une mesure d’inflation décalée. Le taux d’indexation est calculé par la variation de l’indice des prix à la consommation (IPC) sans l’alcool, le tabac et le cannabis récréatif entre la période de douze mois se terminant le 30 septembre et celle prenant fin le 30 septembre de l’année précédente. Pour 2021, l’indexation a été de 1,26 % alors que, pour l’ensemble de l’année, la moyenne de l’augmentation de l’IPC global a été de 3,8 %. Pour 2022 le taux d’indexation s’établissait à 2,64 % alors qu’on parle d’une hausse annuelle moyenne de 6,6 % de l’IPC global.

Faible consolation, le taux d’indexation passe à 6,4 % cette année, soit un manque à gagner pour Québec estimé à 2,3 milliards, contre 898 millions en 2022 et 424 millions en 2021. Et l’on s’attend à ce que les pressions inflationnistes s’amenuisent considérablement, sous l’effet de glissement annuel, mais aussi du ralentissement de l’activité économique. La Banque du Canada prévoit que la progression de l’IPC s’établira autour de 2,6 % au dernier trimestre de cette année, pour atterrir sur la cible de 2 % en 2024.

En outre, selon les prévisions de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, les employeurs du Québec prévoient octroyer des augmentations salariales moyennes de 4,4 % en 2023, contre 4 % en 2022. L’Ordre a rappelé que ces prévisions tenaient compte de l’effet sur la structure salariale de la hausse de 7 % du salaire minimum, qui entrera en vigueur le 1er mai.

Quant à l’impact du Fonds des générations sur la dette publique, la CFFP a rappelé dans son mémoire que l’objectif actuel de réduction de la dette brute à 45 % du PIB est déjà atteint et que celui de la dette représentant les déficits cumulés le serait en mars 2026. Mais qu’il faut reporter de cinq ans l’atteinte de l’objectif d’un ratio dette nette au PIB équivalent au ratio actuel de l’ensemble des provinces excluant le Québec si le gouvernement Legault va de l’avant avec son projet de baisse d’impôt. « L’objectif serait donc atteint dans 15 ans au lieu de 10, soit au 31 mars 2038 », ce qui est conforme à l’horizon de 10 à 15 ans retenu par le gouvernement, soulignait la Chaire.

Voilà pour la déviation d’une portion des versements au Fonds des générations. Il reste que Québec est exhorté à mettre le gros de ses ressources dans la consolidation de son offre de services et ses dépenses de mission, à muscler la transition énergétique, à attaquer de front le mauvais état des infrastructures et à stimuler l’investissement dans l’accroissement de la productivité dans un contexte où la pénurie de travailleurs impose un plus grand niveau de substitution entre le travail et le capital, pour reprendre une lecture de Jean-Pierre Aubry, économiste indépendant.



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